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Ma maîtresse s’appelle Colgate
lundi, 19 janvier 2004
/ Jalila Zaoug
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Attirées par un marché de douze millions d’élèves, les entreprises investissent les écoles françaises à grand renfort de mallettes "pédagogiques", sponsoring et autres concours. Si elle est tolérée, cette pratique est en contradiction avec le principe de neutralité de l’école.
"Allez brosse, brosse, brosse tes dents..." Le Dr Quenottes, lapin inventé par Colgate, chante les vertus du dentifrice dans les classes depuis plus de quinze ans. Sa dernière aventure : le Tour du Monde du Dr Quenottes. Un dessin animé de treize minutes, avec posters et fiches pour les élèves et l’enseignant. Le tout pour 23€, déboursés par l’école.
À l’instar de Colgate, les entreprises sont nombreuses à pénétrer l’enceinte scolaire. Renault distribue 76 000 mallettes "La route et moi" sur la sécurité routière. EDF explique le nucléaire. Nestlé propose aux enseignants un "Kit métiers", dans lequel l’élève "doit réunir l’ensemble de son équipe qui fera de lui un véritable fabricant de barres chocolatées"...
Des outils promotionnels plus classiques, jeux-concours ou échantillons, ont aussi fait leur entrée à l’école. Les marques sont même présentes dans certains livres scolaires. Dans La nouvelle balle aux mots, un manuel de français de CE2 édité par Nathan, une page explique la préparation de la "purée au lait Vico". Pourtant, ces pratiques sont, en principe, interdites !
Plusieurs circulaires rappellent en effet "l’interdiction des pratiques commerciales dans les établissements publics d’enseignement". En 1993, l’inspecteur d’académie de Caen a ainsi été condamné par le tribunal administratif pour avoir permis au Crédit Agricole d’organiser un concours d’orthographe dans des écoles de la Manche. "Ce type d’opérations viole le principe de neutralité dans l’enseignement", s’insurge Farid Hanana, secrétaire général de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Pourtant, le ministère de l’Education nationale estime que l’utilisation de ces outils relève du "libre-arbitre des chefs d’établissements".
"Former" les futurs consommateurs
Appâtées par un marché de douze millions d’élèves, les entreprises françaises se sont, elles aussi, lancées dans le marketing scolaire. Car les moins de dix-huit ans sont une cible doublement juteuse. Non seulement ils consomment, avec un pouvoir d’achat qui s’élèverait à environ 4,5 milliards d’euros par an, selon l’Institut de l’enfant, mais, qui plus est, ils influenceraient 43 % des achats familiaux, soit plus de 91 milliards d’euros par an. "L’information passe mieux quand elle est donnée à l’école", concède Martine Dufort, responsable du Dr Quenottes chez Colgate, même si elle se défend de vouloir influencer la consommation des enfants. Outre cette crédibilité apportée par l’école, le marketing scolaire permet de cibler les acheteurs potentiels : pour atteindre les enfants de 8-9 ans, on crée des kits adaptés aux programmes de CE2.
Difficile d’évaluer l’impact direct sur les ventes de ce type de promotion. De toute façon, celui-ci s’inscrit aussi dans une stratégie à long terme. Premier objectif : forger les habitudes des futurs consommateurs. Selon plusieurs études, les marques consommées par les adultes de 25 à 35 ans l’étaient déjà avant 18 ans. Les industriels l’ont compris et ont créé des personnages - le lapin de Colgate, le Mexicain Pépito - qui instaurent un lien affectif durable entre la marque et l’enfant. De plus, inculquer l’hygiène dentaire aux jeunes, par exemple, est pour les fabricants - Colgate, Signal, Elmex - un moyen de développer un marché sur lequel ils sont leaders...
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