https://www.terraeco.net/spip.php?article19848
Le livre
vendredi, 28 octobre 2011 / Emmanuelle Vibert

Non, le vieux bouquin n’est pas mort ! Papier recyclé, encres végétales, imprimerie locale… A l’heure du numérique, certains éditeurs donnent un coup de jeune à leurs processus de fabrication.

« Laissez-moi vous présenter le nouveau dispositif bio-optique d’enregistrement des connaissances, répondant au nom commercial : Book. » Ainsi débute la vidéo lancée sur la toile par le collectif espagnol de promotion du livre Leerestademoda (1). Parodiant les présentations de nouveaux produits high-tech – et notamment celles de feu Steve Jobs – un homme nous explique sans ciller que « Book est une révolution technologique sans précédent : sans câbles, circuits électriques ou batteries et sans rien à connecter ». Il est tordant d’entendre que chaque page est « scannée optiquement, transmettant l’information directement au cerveau » ou qu’on peut « ajouter des notes personnelles, grâce à un outil de programmation ultrasensible… le crayon ! »

Un livre pèse 1,3 kg de CO2

Il faut dire que régulièrement, on le remise au rayon des antiquités, prévoyant un avenir radieux à son remplaçant, le livre numérique. Pourtant, il tient toujours le coup, le bon vieux support papier. Selon l’Observatoire de l’économie du livre, il s’en est vendu 464,5 millions d’exemplaires en France en 2009. Mais écologiquement, ça pèse combien tous ces bouquins ?

En 2009, les éditions Hachette faisaient calculer leurs émissions de CO2 par le cabinet d’audit Carbone 4. L’étude prenait en compte la partie création et la vie de bureau, la diffusion (dont les kilomètres parcourus par les représentants), la production (papier, impression et transport en amont), la distribution, la fin de vie et l’utilisation. Résultat ? 1,3 kg de CO2 par livre de 400 g. Ce qui pèse le plus ? Le papier, ma bonne dame, avec 630 g de carbone. Viennent ensuite le fret (340 g) et l’impression (185 g).

Passé le constat, l’éditeur a décidé d’améliorer ses pratiques. Par exemple, en optimisant la maquette des collections de poche Harlequin (3 millions d’exemplaires), il a pu baisser de 10 % le nombre de pages et l’épaisseur, faire 5 % d’économies et diminuer son empreinte carbone de 100 tonnes de CO2. Autre bon moyen pour décarboner les best-sellers ? Augmenter leur ratio de papier issu de forêts gérées durablement. Selon Greenpeace, près de 20 % du papier non recyclé de l’Hexagone provient de régions de forêts anciennes.

Un papier certifié déforestation qui coûte un maximum de CO2 à la planète – sans même évoquer la perte de biodiversité. La seule façon de s’assurer de la provenance de sa pâte à papier, c’est d’avoir recours au papier certifié (FSC ou PEFC), à l’empreinte carbone moins élevée. Hachette en achetait 65 % en 2008. Son objectif est d’atteindre les 87 % en 2012. Difficile de parvenir à 100 % rapidement car la demande surpasse aujourd’hui l’offre.

La pâte à papier sur la sellette

Pour faire mieux encore, il faut compter avec le recyclé. Selon le cabinet Carbone 4, pour un livre de 450 g imprimé en France sur du recyclé, la facture est d’un kg de CO2. Elle grimpe à 3 kg si on se sert de papier dont les fibres viennent des forêts dévastées d’Indonésie. Hachette utilisait moins de 1 % de fibres recyclées en 2008 et vise les 11 % en 2012.

La pâte à papier de récup, c’est le leitmotiv des éditions Terre Vivante. Cette maison basée en Isère, qui publie des titres liés à l’écologie, choisit depuis ses débuts, il y a une trentaine d’années, les prestataires les plus respectueux de l’environnement. Elle a recours à des papiers certifiés et recyclés et à des encres à base d’huiles végétales. Terre Vivante vient de faire l’analyse de cycle de vie (ACV) de ses livres, en s’intéressant aux effets sur la biodiversité, le changement climatique, à la pollution de l’eau, de l’air et du sol.

Le constat est le même que pour un bilan carbone : l’étape la plus lourde pour la planète, c’est la production de la pâte à papier qui consomme un maximum d’énergie, d’eau et de produits chimiques. Bilan de l’ACV ? Terre Vivante a décidé de généraliser son utilisation de fibres recyclées. Et si l’offre ne suffisait pas, d’exclure la pâte à papier en provenance d’Asie pour ne choisir que du papier PEFC ou FSC. Autre résolution : moins blanchir le papier pour certains livres. Et quand beaucoup d’éditeurs font le choix du made in Asia pour les étapes de l’impression et de la fabrication, Terre Vivante milite pour la proximité.

« Le choix de travailler avec un imprimeur local peut sembler facile, observe Claire Groshens, directrice éditoriale, mais il nécessite un tissu industriel bien vivant. Nous avons la chance d’avoir encore dans notre région des imprimeurs dynamiques et qui s’engagent dans des démarches respectueuses de l’environnement. Mais cette qualité a un coût : le même livre imprimé en Asie pourrait coûter 30 % de moins. » Le « Book » du futur, « précurseur d’une nouvelle forme de divertissement », comme le souligne la vidéo du collectif Leerestademoda, se doit d’être durable et donc local. —

(1) -Le site du collectif leerestademoda


Fini le gaspi !

24 % des livres imprimés partent à la poubelle, le « pilon », préfère-t-on dire dans le jargon. Pour y remédier, on peut faire appel aux nouvelles technologies. Dans un rapport publié en 2009, le député UMP Hervé Gaymard préconise d’adopter un système de suivi des ventes. « Au Royaume-Uni, une méthode informatisée reliant toutes les caisses enregistreuses à une unité centrale a permis de faire passer le taux d’invendus de 22 % à 14 % en quelques années. Chaque semaine, les éditeurs connaissent précisément l’état de leurs ventes et peuvent donc ajuster en temps réel mises en place et réimpressions. »

- Le bilan carbone des éditions Hachette

- L’analyse du cycle de vie des éditions Terre Vivante

- La vidéo sur le « Book » (en espagnol)

- La vidéo sous-titrée en français

- Le site de Carbone 4