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En Amazonie, sur la piste des trafiquants de bois
vendredi, 28 octobre 2011 / Anne-Gaëlle Rico

Au Brésil, des brigades environnementales luttent chaque jour contre la déforestation. En hélicoptère ou en pick-up, elles poursuivent les acteurs du commerce illégal de bois et les planteurs illicites de soja. Malgré des moyens limités, elles font preuve d’un enthousiasme sans frein.

Belém, la plus importante ville de l’Amazonie face à l’océan Atlantique. 7 heures du matin, au siège de l’Institut brésilien de l’environnement (Ibama) de l’Etat du Pará. Les fonctionnaires, sur le pied de guerre, attendent les voitures parties en urgence sur une mission d’extinction d’incendie. « Dans le Pará, explique le chef de mission Norberto Neves, l’Ibama est sur tous les fronts : réserves indigènes, occupations du mouvement des sans-terre, extractions minières, scieries clandestines. De juin à décembre, c’est la saison sèche : les incendies se multiplient et la déforestation illégale, facilitée par le – relatif – bon état des routes, s’intensifie. »

Depuis 2000, les actions de protection de l’environnement associent les agents de l’Ibama à ceux du Bataillon environnemental de la police militaire (BPA) qui gèrent la sécurité. Les pick-up enfin arrivés, les sept contrôleurs passent chercher six policiers et la mission Labareda 2 peut démarrer. A la sortie de la ville s’étend une zone industrielle où plusieurs centres commerciaux sont en construction.

Peu à peu, les boutiques se raréfient et font place à d’immenses fazendas, des fermes entourées de champs de soja et de pâturages pour l’élevage bovin. Au début des années 1960, le Pará a été le premier Etat amazonien livré à la colonisation agricole à grande échelle, au moment de la construction de la route Belém-Brasília. Après plus de 500 kilomètres sur cet axe, un des rares de l’Amazonie à être goudronné, la mission emprunte un chemin de terre longeant de nombreuses scieries.

Ligne verte et GPS

« C’est une dénonciation téléphonique sur la ligne verte anonyme qui est à l’origine de cette action. Nous avons vérifié qu’il y a bien déforestation illégale sur une zone protégée grâce aux images satellites du programme Prodes », précise Norberto Neves. Lancé il y a trente ans, le système de télésurveillance brésilien permet de scruter l’évolution des 4 millions de km² de l’Amazonie légale. Depuis 2004, un dispositif d’alerte livrant des images quotidiennes permet de repérer en temps réel les zones de déforestation.

« Sur le terrain, nous nous repérons désormais grâce au GPS. Mais lorsque j’ai commencé à travailler, il y a plus de vingt-cinq ans, il n’y avait ni technologie, ni infrastructures, ni législation. Juste la révolte face aux ravages causés par la déforestation autour de mon village indigène », raconte Norberto Neves. Soudain, un camion chargé de bois apparaît sur la piste. Un des policiers l’immobilise.

Après avoir caché les voitures, l’équipe continue à pied, sous une chaleur chargée d’humidité. Bientôt, un deuxième camion apparaît, puis un troisième, et un bruit de tronçonneuse retentit. Dans une clairière, un homme est en train de couper le tronc d’un jatoba de 30 mètres de haut et 70 cm de diamètre. Coupe et transport illégaux de bois. Flagrant délit.

A la tombée de la nuit, les camions et les interpellés sont convoyés jusqu’au poste de la police ferroviaire de la ville de Dom Eliseu, à une cinquantaine de kilomètres. Aucun papier, aucun contrat de travail. Le bûcheron explique qu’il vit dans la forêt depuis deux ans. Payé au mètre cube de bois abattu, il reçoit environ 600 reais (244 euros) par mois, soit la moitié du salaire moyen. Les conducteurs, eux, répètent tous le même discours : ils ont commencé il y a seulement une semaine, c’est la première fois, ils ne recommenceront pas. « Les responsables de l’échelon supérieur ne vont pas tarder à faire surface », prédit Norberto Neves dans un sourire.

Biens confisqués

Et le lendemain matin, comme prévu, les propriétaires des camions attendent au commissariat. Fernando et Xavier, deux vétérans de l’Ibama, repèrent en un clin d’œil les différentes espèces d’arbres du chargement saisi et les mesurent soigneusement. « 44 m3 provenant de 11 spécimens. Cela représente la journée de travail d’un bûcheron clandestin : en moyenne 15 à 20 arbres abattus quotidiennement, soit 30 à 40 m3 », explique Fernando tout en calculant le montant de l’amende (122 euros par m3).

« L’accusé de crime environnemental a de nombreux recours, regrette Paulo Mauès, responsable de la police de l’Ibama dans le Pará. La procédure traîne en longueur, se perd dans les méandres de la justice, et l’amende n’est que très rarement payée. Les réquisitions immédiates de bois, de tronçonneuses et de camions sont beaucoup plus efficaces. » En théorie, tous les biens confisqués doivent être confiés à l’Ibama, qui s’en porte garant jusqu’à la décision finale de la justice. S’il est établi qu’ils sont liés au trafic illégal, ils doivent être donnés à des œuvres publiques. Le bois à des écoles, les bœufs au programme de lutte contre la faim, les camions à l’armée… Dans la réalité, le centre de dépôt de l’Ibama n’a existé, faute de moyens, qu’entre 2009 et 2010.

« Et le problème est désormais de désigner un dépositaire légal », avoue Norberto Neves. Souvent, comme dans le cas présent, les propriétaires des camions non récidivistes récupèrent leurs véhicules. Quant au bois, il est confié à la mairie locale. « Nous devrions pouvoir l’utiliser pour des travaux municipaux. Mais à cause de la lenteur des procédures de donation, il pourrit au dépôt », se désole un adjoint municipal de Dom Eliseu.

Dans une commune voisine, un policier, qui, craignant les représailles, veut rester anonyme, accuse le maire, exploitant de bois, de revendre pour son bénéfice personnel les troncs qu’on lui confie. « Nous avons connaissance de telles pratiques et plusieurs procès sont en cours », reconnaît Paulo Mauès. Diplômé en sciences de l’environnement, dynamique et passionné, le chef de la police est à l’image des nouveaux cadres de l’Ibama. « La lutte contre la corruption et l’impunité, qui est l’un de nos principaux défis, progresse. Et nous concentrons désormais notre action sur le haut de la pyramide, en espérant que la répression contre les gros poissons découragera les petits. »

Effet de surprise

Troisième jour de mission. La cible est un important producteur de soja, déjà condamné pour déforestation illégale. En 2008, 344 ha de la terre qu’il exploitait, soit l’équivalent de 482 terrains de football, ont été mis sous embargo, avec interdiction formelle de les exploiter. Lorsque l’équipe arrive, non seulement l’ère protégée a été plantée, mais la zone déforestée a augmenté. Un des ouvriers agricoles explique que « le patron est parti en vacances ». Pour recréer l’effet de surprise, trois agents décident de s’éloigner de la zone en hélicoptère. Cap sur Paragominas, à une centaine de km. Volant à faible altitude, le pilote repère un bulldozer qui abat un pan de forêt, mais le temps de se poser, le conducteur s’est volatilisé. Dans la fazenda voisine, personne.

A Belém, de retour au quartier général de l’Ibama, Paulo Mauès concède que « les brigades ne passent pas inaperçues. Peu de temps après notre arrivée, les propriétaires terriens et les patrons de scieries disparaissent comme par enchantement ». Mais lui et ses collaborateurs ont déjà pris la relève de la mission de terrain : « Nous allons tenter d’établir quelle était la destination finale des troncs saisis. Nous pensons que, comme 60 % du bois du Pará, le lot était destiné à l’industrie de la construction à São Paulo. Nous allons également enquêter sur les filières qui ont permis à l’exploitant de soja d’écouler sa production, alors qu’il était inscrit sur la liste noire l’empêchant de vendre sur le marché légal.

Nous avons déjà plusieurs pistes, Carrefour et Walmart pourraient être impliqués. » Contactée, la première enseigne nie s’approvisionner en direct auprès de ce producteur. La seconde, elle, dit ne pouvoir se prononcer sans la raison sociale de l’exploitant. « Au Brésil, comme à l’international, la loi environnementale n’est pas répressive mais dissuasive et les criminels ont toujours un pas d’avance sur les autorités. C’est sur les mentalités et les mécanismes qui provoquent la destruction de l’environnement que la société doit évoluer », conclut le capitaine Absolão, membre du BPA et spécialiste du droit de l’environnement. —

Vague d’assassinats

Francisco Oliveira vivait à Dom Eliseu sur un lopin de terre cédé par la réforme agraire. Fin juillet, il a reçu une balle dans le crâne. Valdemar Barbosa appartenait à un groupe de « sans-terre ». Expulsé d’une exploitation considérée improductive, il menaçait de l’envahir de nouveau. Fin août, deux hommes en moto ont tiré sur lui à bout portant. José Claudio Ribeiro da Silva et sa femme Maria appartenaient à l’ONG écologiste fondée par le récolteur de latex Chico Mendes, lui-même assassiné en 1988.

Ils dénonçaient les déboisements clandestins pour la production de charbon et l’élevage. Fin mai, ils ont été abattus dans leur camionnette, leurs oreilles coupées. Adelino Ramos a été tué pour les mêmes raisons quelques jours plus tard, au moment même où la Chambre des députés approuvait une loi assouplissant la protection de la forêt. En tout, sept paysans ont été assassinés en Amazonie au cours des quatre derniers mois. La majorité vivait dans le Pará, un Etat où, selon la Commission pastorale de la Terre, 1 237 travailleurs ruraux ont été tués au cours des trente-trois dernières années. Dans trois cas seulement, les commanditaires, des propriétaires terriens, ont été jugés et condamnés.

- Le site de l’Ibama (en portugais)

- Données sur les espèces de bois d’Amazonie

- Le site de l’Organisation internationale des bois tropicaux

- Documentaire sur la déforestation en Amazonie

L’Amazonie brésilienne et le développement durable de Martine Droulers et François-Michel Le Tourneau (Belin, 2011)

Amazonie : une aventure scientifique et humaine du CNRS de Alain Pavé et Gaëlle Fornet (Editions Galaade, 2010)

Chico Mendes : Non à la déforestation d’Isabelle Collombat (Actes Sud, 2010)


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