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« Il faut cesser le forage en eaux profondes »
vendredi, 21 octobre 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

En Nouvelle-Zélande, Jay Harkness, de Greenpeace, revient sur les dégâts naturels et pertes économiques provoqués par la marée noire.

Jay Harkness est membre de Greenpeace Nouvelle-Zélande.

Terra eco : Le Rena s’est échoué le 5 octobre sur un récif au large de Tauranga (Nouvelle-Zélande). Où en sont les opérations de sauvetage aujourd’hui ?

Jay Harkness : Les sauveteurs continuent de pomper le pétrole mais ils progressent lentement. Le navire menace de se briser et, pour le moment, les vents sont forts.

S’ils pompent tout le pétrole avant que le navire ne se brise, il est peu probable que davantage de matière ne se répande. Mais il y a encore au moins 1 000 tonnes de carburant toxique à bord du bateau. S’il y a de nouvelles fuites, il n’y a aucun doute que beaucoup de faune et flore sauvages disparaîtront.

Et quand le pétrole entre dans l’environnement marin, il est pratiquement impossible de procéder à un nettoyage. C’est le phénomène que nous avons constaté lors de marées noires à l’étranger.

Pour l’instant, quel genre de dégâts environnementaux avez-vous pu observer ? Combien de temps faudra-t-il à l’environnement pour retrouver son état naturel ?

Là encore les expériences étrangères montrent que l’environnement marin a besoin de beaucoup de temps pour retrouver son état naturel après une marée noire. En plus d’anéantir directement la faune et la flore, le pétrole va aussi entrer dans la chaîne alimentaire et y rester, privant les communautés indigènes locales d’accès aux ressources alimentaires traditionnelles. Habituellement, il faut deux à dix ans à un écosystème pour se remettre des ravages causés par une marée noire, mais il existe des cas où, après quarante ans, les méfaits peuvent encore se voir dans certaines communautés animales.

Dans le cas du Rena, il est encore trop tôt pour commencer à tirer un bilan de l’impact de cette marée noire sur l’environnement marin, simplement parce que la plupart des dégâts ne sont pas directement mortels pour la faune : la marée noire perturbe le développement de l’animal, son comportement et sa reproduction. Jusqu’ici, 1 200 oiseaux ont été tués – parmi eux, des albatros (qui ne produisent qu’un œuf tous les deux ans) et des manchots pygmées.

Quel sera l’impact économique ?

Là aussi, il est encore trop tôt pour le dire. Mais déjà, on sait que le tourisme local a été affecté ainsi que les équipes qui pêchent les écrevisses, et d’autres poissons, sur le récif et dans les eaux environnantes.

L’armateur du Rena, la Mediterranean shipping company (MSC) a offert un million de dollars néozélandais (575 000 euros) pour payer le nettoyage des plages. Est-ce suffisant ?

Pas du tout ! Les frais de nettoyage et la valeur des pertes économiques locales et nationales vont largement excéder le million de dollars. Mais impossible de dire pour le moment quel sera le coût de la catastrophe au final.

Y’a-t-il un moyen d’empêcher un événement de ce genre de se reproduire à nouveau ?

Oui, sans aucun doute. C’est pour cette raison que Greenpeace demande au gouvernement de cesser d’attirer en Nouvelle Zélande l’industrie pétrolière spécialisée dans le forage en eaux profondes. Certains fonds marins dont le gouvernement a vendu les droits d’exploitation se trouvent à des profondeurs deux fois plus grandes que la zone dans laquelle opérait Deepwater Horizon avant que la plateforme n’explose et ne coule, en déversant 650 000 tonnes de pétrole dans le golfe du Mexique l’an dernier. Comme les plongeurs ne peuvent descendre qu’à 200 mètres pour réparer une fuite, l’exploitation de pétrole en eaux profondes représente un risque totalement inacceptable. De plus, repousser encore les frontières de l’industrie pétrolière – en exploitant les eaux profondes de Nouvelle-Zélande et de l’Arctique – ne fera qu’empirer la crise climatique.

Comment réagit le public à l’accident ? Y’a-t-il une forte mobilisation autour du nettoyage des plages ?

Des milliers de gens se sont portés volontaires pour aider à nettoyer la marée noire. L’accident n’a fait que stimuler l’opposition du public vis-à-vis des forages en eaux profondes. Cette année, Greenpeace s’est associé à un iwi (tribu) nommé « te Whanau a Apanui » et dont les terres de Cap Est ne sont pas loin de Tauranga (une ville affectée par la marée noire, ndlr). Le pétrole est en train d’arriver au Cap Est et on en attend davantage. Or, l’accident pourrait être catastrophique pour cet iwi. Les volontaires de Greenpeace sont en train d’aider à nettoyer leurs terres touchées par la marée noire.

Même le principal parti d’opposition a changé de politique. Il a déclaré que – pour le moment – il ne soutenait plus le développement des forages en eaux profondes en Nouvelle-Zélande (où il n’existe pas encore de puits).