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Faites entrer les accusés de la finance européenne
mercredi, 19 octobre 2011 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Au lendemain d’un accord décisif règlementant la spéculation, « Terra eco » décrypte les conséquences pour la finance de l’UE.

Le mardi 15 novembre, le Parlement européen a adopté une loi limitant les outils de spéculation en Europe. Retrouvez par ici notre décryptage réalisé le 18 octobre dernier, lorsque la Commission et le Parlement avaient, après de longues négociations, trouvé un accord sur ce texte.

Mars 2010. Dans une lettre commune, la France, l’Allemagne et la Grèce demandent une enquête sur le rôle de la spéculation dans la crise qui frappe la Grèce. Depuis, les Etats membres, le Parlement et la Commission européenne n’ont cessé les tractations pour réguler la finance de l’UE, jusqu’à un accord mardi (1), en fin de soirée. Terra eco revient sur ces accords, sous forme de chronique judiciaire. Faites entrer les accusés.

- Accusé n°1 : Les CDS (à prononcer Cé-dé-esse, pour Credit default swaps) souverains à nu

Inconnus au bataillon, les CDS ? Pas vraiment. Rappelez vous, ces produits financiers complexes étaient déjà au cœur du krach financier de 2008. Il s’agit en fait d’une assurance que les investisseurs peuvent contracter, puis acheter ou revendre à tout instant.

Les CDS dits souverains sont des assurances spécifiquement destinées à ceux qui prêtent de l’argent aux Etats. Ainsi, si un trader, que nous appelons Jack, a acheté un bon du Trésor français et pris un CDS souverain français pour s’assurer, il sera remboursé par son assureur si la France fait faillite. Sauf que, aujourd’hui, vous n’êtes pas obligés de détenir de la dette française pour acheter un CDS de ce pays. Exactement comme si l’on faisait assurer une maison sans avoir de maison !

Chef d’accusation : A favorisé la spéculation sur la faillite d’Etats, notamment en 2010

Prenons l’exemple de Jack, qui achète des CDS de l’Espagne à nu : il ne cherche pas à s’assurer contre un risque, mais à faire un profit. Problème : il ne gagnera dans l’opération que si le prix du CDS de l’Espagne augmente, c’est-à-dire si le prix de l’assurance contre la faillite de l’Espagne augmente. Il aura donc tout intérêt aux diverses manœuvres (comme l’achat massif et brutal de CDS pour créer l’inquiétude, les rumeurs de marché, ou encore la vente d’obligations à découvert, cf l’accusé numéro 2) pouvant faire penser à ceux qui détiennent de la dette espagnole que le pays risque la faillite, et qu’ils feraient mieux de s’assurer illico. En cas de réussite, plus d’investisseurs voudront s’assurer, donc le prix du CDS va grimper et Jack pourra revendre son CDS avec une plus-value, puis ne plus jamais se soucier de la situation de l’Espagne. Plusieurs fonds sont fortement soupçonnés d’avoir joué ainsi contre la Grèce en 2009 et 2010.

« Plusieurs traders de grandes banques m’ont confié avoir spéculé de cette façon », assure Pascal Canfin, rapporteur du texte au Parlement européen et principal accusateur de la finance. Le hic, c’est qu’il est impossible de le prouver. Car le marché du CDS est totalement opaque et non réglementé.

Verdict : Inculpation

Après une longue bataille, le Parlement européen et la Commission sont tombés d’accord pour interdire totalement les CDS souverains à nu. Seule contrepartie, à la demande du Royaume-Uni, un pays pourra sortir de l’interdiction pour un temps court en cas de tension sur sa dette. « Cette mesure peut effectivement empêcher la spéculation sur la faillite des pays », reconnaît Christian Parisot, directeur des recherches de la société d’investissement Aurel BGC. « Mais elle ne peut pas être efficace contre le principal problème actuel, c’est-à-dire la volatilité qui est due au fait qu’il y a très peu d’acteurs sur ces marchés spécifiques. » Une seule solution pour lui : améliorer la transparence, alors qu’actuellement « personne ne sait qui émet des CDS et combien ».

- Accusé numéro 2 : La vente à découvert

La technique consiste à vendre une obligation que l’on n’a pas encore, mais que l’on aura au moment d’honorer la livraison. Comment faire ? Explications avec notre trader Jack, toujours lui, qui est un spécialiste du fait. Un lundi, alors qu’il n’a aucune action en poche, John est persuadé que le titre X va baisser. Il va donc passer un contrat pour vendre 100 actions X au cours du jour, pour livraison le jeudi à 11h. Mais il va attendre jeudi à 10h59 pour acheter les 100 actions et honorer illico sa livraison. En espérant que le cours de la Bourse ait baissé entre temps, pour empocher la différence.

Chef d’accusation : A favorisé la spéculation

Vendre à découvert, ou « shorter » comme on dit dans le milieu , c’est parier sur la chute d’une valeur. Là encore, il s’agit de spéculer. Et là encore, personne n’est aujourd’hui en mesure de citer les noms des fonds qui jouent ainsi ni combien ils engagent.

Verdict : Placement en résidence surveillée

Les ventes à découvert restent permises. Mais l’accord trouvé vise à les encadrer, notamment en renforçant la transparence sur ces échanges. Ainsi, les investisseurs qui misent beaucoup à découvert sur un même titre devront en informer l’Autorité européenne des marchés (Esma) et ces données seront publiques. Et l’Esma pourra interdire les ventes à découvert en cas de chute brutale d’un titre en bourse. Une solution qui aurait été bien utile lors de la déroute des banques européennes fin août.

(1) L’accord instaure un règlement renforçant la réglementation de la vente à découvert et des CDS souverains à nus, compliquant ainsi la spéculation notamment sur le défaut de paiement d’un pays. Il doit être définitivement voté en novembre prochain, et les mesures prises prendront effet progressivement entre novembre 2011 et novembre 2012.