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« Steve Jobs était un passeur »
mardi, 18 octobre 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Il a démocratisé l’informatique et fait du mobile un outil indispensable pour le quotidien, selon Didier Lombard, ex-pédégé de France Télécom.

Ex-pédégé de France Télécom, Didier Lombard est aujourd’hui président du conseil de surveillance de ST Microelectronics.

Terra eco : Selon vous, Steve Jobs a-t-il fait progresser le monde de l’informatique et la société et en quoi ?

Didier Lombard : Quand les ordinateurs ont été inventés, la relation entre l’utilisateur, l’ordi et son écran était un truc infernal. Les premiers systèmes d’exploitation se gouvernaient avec des codes implicites. On avait un petit bouquin dans lequel on nous disait que pour passer sur telle fonction il fallait par exemple taper « iosc//.- ». C’était réservé à quelques « happy few ». Vous ne pouviez pas demander à Madame tout le monde de jouer avec un ordi. Ce que Steve Jobs a apporté avec les premiers Mac, ce sont ces fenêtres qui apparaissent sur les écrans, cette interface utilisable par des gens absolument ordinaires. Cela a été copié après par Microsoft et les PC. Il a fait sortir l’informatique du ghetto des professionnels pour en faire un produit grand public.

Puis il y a eu la deuxième phase avec l’Iphone. Avec toutes les icones, les serveurs, les applications, un Iphone c’est un peu comme avoir un petit PC dans la poche. Au début, les utilisateurs étaient des gens un peu sophistiqués. Et il y a deux ans on s’est aperçu que les trafics de données sur les portables augmentaient de façon exponentielle. Monsieur et Madame tout le monde s’en servaient pour regarder la météo, consulter leurs comptes, vérifier si le vol du petit était arrivé à l’heure à l’aéroport ! En mettant cette informatique à la disposition de tout le monde, Steve Jobs a complètement changé la vie de nos concitoyens.

Dans les deux cas, vous parlez de démocratisation. Or, Steve Jobs est souvent critiqué pour avoir élaboré un modèle fermé et des produits chers…

Le monde fermé, c’était son modèle d’affaires. L’univers d’Apple est fermé certes, mais immense. Très grand mais cloisonné. Ca n’empêche que c’est une chose sur laquelle je reste assez critique. Pour moi, le monde doit être ouvert.

En ce qui concerne le prix, vu ce qu’il y a dans les appareils, ils ne sont pas si chers que ça. Pour faire des écrans plats d’Iphone ou des circuits de microélectronique, il faut des milliards d’investissements en amont. Les produits Apple ne sont pas des produits dont on aurait gonflé le prix artificiellement. Le coût de fabrication est élevé. Mais on peut dire que quand les séries vont augmenter, les prix vont baisser, ce qui est d’ailleurs déjà le cas. Si vous regardez le prix des Iphone au début c’était plutôt de l’ordre de 400 euros maintenant il y en a à 199 euros.

Et puis les produits sont chers mais ne sont pas réservés aux riches. Je me souviens, quand on a mis les magnétoscopes dans les boutiques, tout le monde s’attendait à ce que les consommateurs soient dans les beaux quartiers parisiens. En fait, le marché qui décollait à toute vitesse c’était le celui de la banlieue. Le côté technologiquement pointu, les gens se l’appropriaient plus facilement. Sur les Iphone, on a des phénomènes un peu de même nature. C’est quand même un engin qui permet de faciliter la vie dans tout un tas de démarches quotidiennes. Ce n’est pas limité à une population riche. Si vous voulez avoir l’horaire du prochain métro, vous pouvez l’avoir sur l’Iphone.

Steve Jobs n’était pas le seul à inventer les nouveaux objets d’Apple. En quoi son influence était-elle capitale ?

C’est vrai qu’à l’intérieur d’Apple, il y a un club d’une petite dizaine de gars qui sont des experts extraordinairement pointus. Il y a une poignée de lieutenants exceptionnels qui acceptent de vivre dans un anonymat total. Et ils ont toujours reconnu l’autorité suprême du chef.

Le talent de Steve Jobs était de savoir recruter des gens comme ceux que vous décrivez et de les diriger ?

Oui. Comme un prophète, il a recruté ses disciples. Pour moi c’est un passeur au sens biblique des choses, celui qui vous fait passer la rivière. Il a fait faire des grands progrès à l’humanité. Des passeurs comme ça vous n’en avez pas beaucoup, peut-être une petite dizaine par siècle.