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La France subventionne-t-elle la spéculation ?
mercredi, 21 septembre 2011 / Thibaut Schepman /

Non, nous n’avons pas à « sauver la planète ». Elle s’en sort très bien toute seule. C’est nous qui avons besoin d’elle pour nous en sortir.

Avec le crédit impôt recherche, l’État aiderait les banques et assurances à créer de nouveaux outils financiers. Difficile de savoir qui reçoit quoi. Une chose est sûre : pas question pour l’État de revenir sur ces subsides publics.

« J’avoue que je ne comprends pas pourquoi BNP Paribas touche 180 millions d’euros de crédit impôt recherche (CIR, ndlr). C’est une grande interrogation pour moi que le secteur bancaire puisse, pour financer des gens qui font du fast trading, des algorithmes qui déstabilisent la Bourse, bénéficier de très très grands crédits. » Le chiffre lâché ce lundi sur BFM par Gilles Babinet, président du Conseil national du numérique, a fait l’effet d’une bombe. Et pose une lourde question : Et si l’État, en subventionnant par des réductions d’impôts, une partie des investissements des entreprises financières, favorisait le développement d’outils complexes servant à la spéculation ?

Prenons par exemple le « fast trading », appelé aussi trading à haute fréquence (voir encadré). Celui-ci a été largement mis en cause dans l’ensemble des mouvements boursiers violents de ces derniers mois. Hautement spéculatif et entièrement automatisé, on estime qu’il touche la moitié des échanges boursiers dans le monde. Aujourd’hui aux États-Unis, les actions ne sont plus détenues en moyenne que 22 secondes par un trader avant d’être revendues. Or, ces techniques sont à l’origine de krachs violents, et plusieurs régulateurs, dont l’Autorité des marchés financiers, s’inquiètent de leurs conséquences sur la volatilité des bourses. Bref, si ces procédés et algorithmes demandent effectivement beaucoup de recherche mathématique, ils devraient être bien trop dangereux pour que des subsides publics les subventionnent.

Le flou sur les attributions du crédit impôt recherche

BNP Paribas conteste avoir reçu 180 millions d’euros pour développer ses outils de trading, et reconnaît simplement « quelques millions d’euros de crédit impôt recherche, 5 ou 6 millions tout au plus ». Contacté par Terra eco, Gilles Babinet assure, lui, avoir reçu plusieurs confirmations du chiffre cité, même s’il admet ne pas pouvoir prouver ce qu’il avance.

Pour les départager, une petite vérification sur les dépenses de l’État en matière de crédit impôt recherche s’impose. La mission est difficile puisque le flou règne. En 2009, le député UMP Gilles Carrez avait jeté un pavé dans la mare en assurant que « les entreprises de services bancaires et d’assurances, avec 312,6 millions d’euros en 2007 (sur 1,4 milliard versé au total, ndlr) sont celles qui ont bénéficié le plus du crédit impôt recherche ».

Mais, depuis, ce chiffre a été largement revu à la baisse suite à un changement de statut. Les holdings, ces entreprises qui possèdent d’autres entreprises et touchent un tiers des crédits impôt recherche, ne sont plus considérés comme des sociétés financières. Résultat : dans un rapport de mai 2010, la Commission des finances estimait finalement qu’entre 2 et 3% des 4,1 milliards de crédits accordés en 2009 ont été destinés aux banques et assurances, soit 120 millions d’euros. Mais peut-on tout de même savoir si le coup de pouce aux holdings sert ou non à financer l’ingénierie financière ?

Impossible, assure Florence Toquet, secrétaire nationale de l’union SNUI-SUD Trésor Solidaires. Une partie des CIR destinés aux holdings pourraient bien financer la recherche financière, dans les salles de marché de société du CAC 40 ou à travers des sociétés de conseil. Personne ne peut l’affirmer, ni l’infirmer, puisque l’on « ne dispose pas de chiffres entreprise par entreprise »

Quelques millions pour « l’innovation financière », n’est-ce pas déjà trop ?

Et quid des 120 millions d’euros versés en 2010 ? Pas de doute, ceux-là ont bien servi la recherche en banque. A la BNP, on explique que les « 5 ou 6 millions d’euros de crédit impôt recherche » financent bien des chercheurs qui travaillent sur des algorithmes. Mais ceux-ci serviraient à concevoir des « produits structurés », pas du trading à haute fréquence. Reste à savoir pourquoi l’État finance ces recherches sur des innovations financières, qui peuvent être utilisées de manière purement spéculative. Ces outils sont d’ailleurs si complexes que la direction générale des Finances publiques ne parvient pas à statuer seule dessus : elle doit s’en référer au ministère de la Recherche.

La question d’exempter la recherche financière de subventions s’est posée plusieurs fois, à l’Assemblée comme au Sénat. Dernier débat en date, en juin 2010, à la Commission des finances. Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale à la Direction générale des finances publiques, a clos le débat : « Je pense que les banques réalisent bien de la recherche éligible au crédit impôt recherche, notamment pour la réalisation de logiciels. » L’État continue donc de subventionner chaque année, sans clairement dire combien, ces outils. Et prend le risque qu’il servent à la spéculation.


Le fast trading : késako ?

Il s’agit de techniques de pointe qui permettent d’échanger des actions de manière automatique et extrêmement rapide. Pourquoi faire ? Prenons un exemple avec un trader que nous appellerons John. John, comme tout le monde en bourse, fonctionne avec des seuils. Il a décidé d’acheter 500 actions de l’entreprise X si son cours monte au-dessus de 10 euros, et a programmé son logiciel pour ce faire. C’est là que Jack, qui bénéficie d’un logiciel de trading à haute fréquence intervient. Il peut programmer à l’avance d’acheter des actions à l’instant même ou le cours dépasse les 10 euros, et de les revendre quelques microsecondes plus tard, à 10,01 euros. Si cela arrive, les actions à 10 euros passeront sous le nez de John, dont l’ordinateur donnera ses ordres un peu plus tard, et qui achètera donc un poil plus cher. Et Jack, lui, empochera la différence. Même en microsecondes, le temps, c’est de l’argent.