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Du pétrole en Guyane : une si bonne nouvelle ?
jeudi, 15 septembre 2011 / Louise Allavoine

Pour la première fois, des hydrocarbures ont été découverts dans les fonds marins français, au large de la Guyane. La presse économique, les spécialistes de l’or noir et le gouvernement crient « Cocorico ». Mais faut-il s’en réjouir ?

« En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées. » Le slogan est désormais périmé. Vendredi 9 septembre, Total et Shell ont annoncé la découverte, « historique » d’après La Tribune, d’un gisement de pétrole à 150 km au large de Cayenne, la préfecture de la Guyane française. Son exploitation permettrait à la France de disposer d’hydrocarbures en propre. Et cette perspective donne le sourire au gouvernement. Les ministres Nathalie Kosciusko-Morizet (Ecologie), Eric Besson (Industrie) et Marie-Luce Penchard (Outre-Mer) se sont aussitôt fendus d’un communiqué commun où ils « estiment que la découverte d’hydrocarbures au large de la Guyane (...) pourrait à terme représenter un potentiel économique majeur ». Une bonne nouvelle, donc ? Terra eco a interrogé trois experts.

Francis Perrin, directeur de la rédaction du bimensuel Pétrole et gaz arabes : « Il faut être très prudent. Cette découverte est issue du forage d’un seul puits d’exploration. Un réservoir d’hydrocarbures de 72 mètres d’épaisseur, c’est pas mal. Mais pour le moment, impossible d’avancer un chiffre sur l’étendue du gisement. Il faudra attendre de nouveaux forages pour apprécier le potentiel de la découverte et savoir s’il est exploitable. Ce qui est intéressant, c’est que le réservoir semble être de bonne qualité et que c’est la première fois que l’on en trouve à cet endroit. »

« Si une exploitation d’hydrocarbures s’avère possible, l’Etat veillera tout particulièrement à ce que les collectivités, les entreprises locales et plus généralement la population de la Guyane bénéficient des retombées économiques », ont promis les ministres dans leur communiqué. Francis Perrin : « Ils n’ont aucune obligation en la matière, si ce n’est une obligation morale. Il s’agit juste de promesses politiques. Il est difficile de dire aujourd’hui si les Guyanais en profiteront. Mais qui dit pétrole, ne dit pas forcément développement local. Son exploitation ne crée pas beaucoup d’emplois directs. Tout dépend de la politique future des compagnies et si elles décident de faire travailler des entreprises locales. En tout cas, l’Etat en tant que propriétaire et parce qu’il attribue les permis d’exploitation, reçoit des fiscalités pétrolières. »

Yves Mathieu, ancien expert de l’Institut français du pétrole (IFP) et auteur de Le dernier siècle du pétrole ? aux éditions Technip : « En tout, le gouvernement récupère près de 80% de l’argent du pétrole. »

Francis Perrin : « On peut avoir une exploitation offshore qui soit responsable et sans dommages pour l’environnement, mais il est clair que plus le forage est profond, plus il y a de risques. A de telles profondeurs, il n’y a pas d’intervention humaine possible en cas de fuites. On l’a bien vu avec Deepwater Horizon qui forait ‘seulement’ à 1500 mètres. Il a fallu plusieurs mois à BP pour trouver la solution. Mais la catastrophe du Golfe du Mexique a permis de faire progresser les plans de prévention et d’intervention. »

Yves Mathieu : « La probabilité d’un accident est très faible. Bien sûr c’est dramatique quand ça se produit. Mais compte tenu de l’investissement que ça représente, les compagnies qui vont à cette profondeur savent ce qu’elles font. »

Aurélie Bocquet, chargée du programme Outre-mer à l’Union internationale de conservation de la nature (UICN) : « La Guyane possède une biodiversité très riche. Ses mangroves, exceptionnelles mais fragiles, abritent plus de 100 espèces de poissons différentes et c’est l’un des principaux sites de ponte des tortues marines. C’est aussi une question de choix de développement économique. On préfère se porter sur des ressources non durables, alors que le département a un potentiel immense de ressources naturelles, solaire, éolien, marée ou encore biomasse. »