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Tunnel sous le détroit de Béring : info ou intox ?
mardi, 6 septembre 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Un tunnel de 100 km entre la Russie et l’Alaska devrait voir le jour en 2030. Le Kremlin aurait donné son feu vert à en croire quelques médias français. A moins que le projet - maintes fois évoqué - ne soit qu’une chimère.

Vous vous y voyez déjà. Quai n°4, le train Paris-New York embarque ses derniers passagers. Dans deux semaines tout au plus, vous aurez rejoint la mégalopole américaine. Comment ? Mais grâce au tunnel sous le détroit de Béring pardi. En quelques coups de pelle, celui-là doit relier la Russie à l’Alaska. De quoi transporter marchandises, gaz, pétrole et même faire passer la fibre optique entre les deux continents. Un projet qui devrait coûter 70 milliards de dollars (50 milliards d’euros) et devrait s’achever en 2030. Extraordinaire ! Fou ! Sûrement. Chimérique, sans doute aussi.

Si quelques médias français – 20 minutes, Urbanews ou encore Neuilly Journal - ont repris la nouvelle ces derniers jours, il ne s’agit pas de crier victoire trop vite. « C’est un véritable serpent de mer. Il y a des articles sur ces sujets tous les deux, trois ans. Il y a toujours un ou deux fanatiques pour dire que ça va être formidable. Mais c’est peu probable qu’on voit un tel tunnel se construire avant une cinquantaine d’années. Les Russes ont autre chose à faire », assure Jean Radvanyi, géographe et directeur du centre franco-russe de Moscou.

En fait l’idée d’un tunnel ne date pas d’hier, ni même de ce siècle-ci. Elle aurait été soutenue par le tsar Nicolas II en 1905 à en croire le Britannique Daily Mail. Depuis, le projet n’aurait cessé de ressurgir, avant de se dissiper comme un mirage. Dernier sursaut en date : avril 2007. A l’époque, the Times rapportait les propos de l’administration russe et promettait un tunnel érigé en une décennie. Une construction capable d’acheminer 100 millions de tonnes de marchandises chaque année et d’approvisionner les Etats-Unis et le Canada en pétrole, gaz et électricité. Sauf que pas un coup de pelle n’a, depuis, été donné.

Alors pourquoi le désormais « marronnier » est-il revenu à la Une ces jours-ci ? Parce qu’un nouveau personnage s’en est saisi. Aleksandr Levinthal, vice-représentant fédéral pour l’extrême-orient russe aurait simplement repris l’idée lors d’une conférence portant sur les infrastructures de la région et tenue à Yokutz, à l’extrême est du pays. C’est en tout cas ce qu’assure le Daily Mail et derrière lui une pléiade de journaux dont quelques français.

Mais quand bien même les autorités russes décidaient de franchir le pas, ce tunnel serait-il vraiment une bonne idée ? « C’est une région vide d’homme. Et quand on voit les difficultés qu’ont eu les ingénieurs avec le tunnel sous la Manche, là il s’agirait de construire un tunnel de plus de 100 km ! Certes des ressources il y en a à transporter mais surtout de l’or et des diamants qu’on achemine essentiellement en avion et non en train », souligne, incrédule, Jean Radvanyi. Du boulot, il y en aurait aussi pas mal sur le continent. Il faudrait notamment prolonger la ligne trans-sibérienne jusqu’à Yakutsk côté russe (soit de plus de 1800 km) et poser des kilomètres de rail côté américain. Conclusion du géographe : Il n’y a « aucune chance de voir ce tunnel se construire avant longtemps. Peut-être un jour, quand il y aura un milliard de Chinois dans l’extrême-orient russe. Alors peut-être qu’eux, ils en construiront un... »