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« Créer une nouvelle tranche d’imposition pérenne »
mercredi, 24 août 2011 / Agathe Mahuet

« Frileux. » Voilà comment Jacques Lecacheux qualifie l’appel lancé par de riches Français pour un prélèvement exceptionnel sur leur revenu. Selon l’économiste, mieux vaudrait regarder du côté du Royaume-Uni…

Jacques Lecacheux est professeur à l’université de Pau et directeur des études de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), centre de recherche de Sciences Po.

Terra eco : Etes-vous favorable à ce projet d’impôt exceptionnel sur les plus hauts revenus ?

Jacques Lecacheux : A vrai dire, l’appel lancé par les très riches dans le Nouvel Observateur n’est pas tellement original. Ils ont un peu copié sur les milliardaires américains, et sur la tribune de Warren Buffet. D’une certaine façon, c’est bien : c’est mieux que s’ils disaient « on ne veut pas payer d’impôts ». Mais en réalité, c’est extrêmement frileux, tout comme l’est la proposition gouvernementale de « contribution exceptionnelle ». Puisqu’il s’agit d’un prélèvement « exceptionnel », sur une année seulement, cela revient à dire : « n’allons pas au-delà de ce qui est raisonnable… » Pour réduire la dette, ça n’est pas une solution.

Vous êtes cependant favorable au principe de taxer les plus riches ?

Bien sûr. Il ne faut pas oublier qu’en France, les « très riches » – soit les 0,5% les plus riches – paient moins d’impôts que les classes moyennes et populaires. Ces derniers temps, on a beaucoup allégé les prélèvements sur les hauts revenus. Le taux maximum du barème de l’impôt sur le revenu a diminué à plusieurs reprises depuis 2000 ; aujourd’hui, il est inférieur à 40%. Sans parler des niches fiscales, qui profitent aux contribuables les plus aisés (et qui auraient fait perdre à l’Etat 73 milliards d’euros de recettes fiscales en 2008, selon un rapport parlementaire d’information, ndlr), ou du bouclier fiscal, passé en 2007 à 50% des revenus, puis supprimé en juin. Finalement, les milliardaires et les très riches sont particulièrement bien traités en France. Les taxer davantage serait une mesure de justice fiscale : il faut les faire participer à l’effort de réduction du déficit public.

Comment procéder ?

Le modèle anglais pourrait être une solution. Il me semble plus équitable et, en comparaison, la France fait office de paradis fiscal ! Au Royaume-Uni, les revenus de plus de 150 000 livres par an (environ 170 000 euros) sont taxés à hauteur de 50%. Cela correspond donc à une classe moyenne-supérieure, plutôt qu’aux seuls « super-riches » ; mais l’on peut toujours discuter du niveau de revenu à imposer à ce taux. Le fait est qu’économiquement, le système anglais rapporte beaucoup plus. La taxe exceptionnelle que le gouvernement français veut mettre en place s’appliquerait à un taux de 1% à 2% aux seuls revenus de plus d’un million d’euros par an, soit environ 30 000 personnes (le Premier ministre François Fillon a finalement annoncé ce mercredi 24 août qu’au-delà de 500 000 euros de revenus annuels s’imposerait une taxe de 3 %, ndlr). D’une part, l’effort demandé est minime et d’autre part, cela ressemble à une goutte d’eau : récupérer 150 à 300 000 millions d’euros lorsqu’il faut réduire une dette de 1 600 milliards… est-ce vraiment une solution ?

Quelles autres voies peut-on envisager ?

En théorie, notre système fiscal d’imposition progressive devrait être un bon système. Je ne suis pas favorable à l’idée de fixer un revenu maximum, car c’est très arbitraire. Sur la base de quoi doit-on décider du plafond des revenus ? Notre système fiscal me semble être une meilleure piste. D’ailleurs, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les pays développés et très endettés ont opté pour l’imposition progressive pour s’en sortir. Mais le problème qui se pose aujourd’hui – bien qu’il ait toujours un peu existé – c’est l’exil fiscal des riches et l’existence de paradis fiscaux, contre lesquels il est difficile d’agir. De fait, ma préférence irait plutôt pour la création d’une nouvelle tranche pérenne dans le barème de l’impôt sur le revenu, avec un taux de prélèvement plus juste. Cela rapporterait réellement à l’Etat, et dépasserait surtout la mesure symbolique que l’on cherche à imposer actuellement.