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Comment j’ai tué mon poulet rôti
jeudi, 25 août 2011
/ Emmanuelle Vibert
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Dernière tendance du côté des pratiques alimentaires : achever de ses propres mains l’animal qu’on s’apprête à manger. Un moyen extrême de prendre conscience que derrière la viande se cache un être vivant.
L’an dernier, Mark Zuckerberg a appris le chinois. A 27 ans, le fondateur et patron milliardaire de Facebook déborde d’imagination pour pimenter son existence de jeune homme gâté par la vie : chaque année, il se fixe un « challenge personnel ». En 2011, c’est juré, il mangera uniquement la viande des animaux qu’il aura tués de ses propres mains… Un délire digne d’un maniaque qui veut assouvir sa soif de sang ? Au contraire, rétorque l’entrepreneur : sa nouvelle résolution est basée sur des principes éthiques.
L’idée de ce nouveau défi lui est venue il y a quelques mois alors qu’il dégustait un cochon à la broche avec ses amis. « Beaucoup de personnes me disaient que même s’ils adoraient manger du porc, ils ne voulaient vraiment pas penser au fait que le cochon avait été en vie, raconte le patron de Facebook. Cela me semblait tout simplement irresponsable. »
Et vous, êtes-vous prêts à regarder dans les yeux l’animal que vous dégusterez plus tard ? Cette question ne travaille pas seulement les milliardaires en manque de sensations fortes. D’autres se la posent. Pour ceux-là, il existe par exemple la ferme de Bruce King, dans l’état de Washington aux Etats-Unis, où l’on peut s’offrir moyennant 500 dollars (350 euros) un cours d’abattage et de découpe de porc. Pendant six heures, vous allez faire connaissance avec la bête vivante, puis la tuer d’une balle dans la tête avant de lui enlever la peau, vider ses tripes, la couper en morceaux et repartir avec votre glacière pleine à ras bord. Prière de se munir de bottes et d’un pantalon de pluie pour se protéger des éclaboussures.
Dans un autre reality show culinaire, diffusé sur Arte, c’est l’Allemande Sarah Wiener qui fait sensation. Pour « Sarah et les marmitons », la cuisinière accompagne des enfants dans un château provençal, leur fait découvrir la cuisine mais aussi l’origine des aliments, l’élevage des animaux… Ce qui conduit une partie de la troupe à assister un jour à la mort d’un lapin avant de le transformer en ragoût. « Quelqu’un qui mange de la viande devrait savoir qu’elle ne pousse pas sur les arbres », s’est justifiée la télé-gastronome dans le journal allemand Bild. A-t-elle traumatisé ses marmitons ? « Aucun des enfants n’a été bouleversé ou carrément choqué. Cela a plutôt fait naître quelque chose de l’ordre d’une réflexion et d’une prise de conscience, l’idée de considérer nos aliments avec soin et respect. »
Quant à l’écrivain américain Jonathan Safran Foer, il veut faire de nous, dans Faut-il manger les animaux ?, des carnivores consciencieux boycottant l’élevage industriel pour lui préférer la viande issue de fermes familiales. « Nous avons la charge mais aussi la chance de vivre au moment où les critiques à l’encontre de l’élevage industriel se sont frayées un chemin dans la conscience populaire, écrit-il. C’est à nous que l’on pourra demander, à bon endroit : “ Qu’est-ce que vous avez fait quand vous avez su la vérité sur le fait de manger des animaux ” ? » —
Bidoche de Fabrice Nicolino (Les Liens qui libèrent, 2009)
Faut-il manger les animaux ? de Jonathan Safran Foer (Editions de l’Olivier, 2011)