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25 bouches à nourrir avec 140 euros par mois
jeudi, 22 décembre 2005
/ Bénédicte Foucher
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/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». , / Toad , / Simon Barthélémy , / Laurent Marot |
Jean, Marie-Josée, Sara et Eliani tirent chacun le diable par la queue. Parce qu’ils sont seuls chez eux, ou bien trop nombreux, parce qu’ils n’ont pas de toit ou attendent des papiers. Un point commun les réunit malgré tout : leur portefeuille est vide. Voici quatre portraits de la pauvreté en France aujourd’hui.
JEAN : 50 ans
Montjaux (Aveyron)
Célibataire
640 euros par mois
Pour arriver chez Jean Berthod, il faut descendre la route serpentant sous le village de Montjaux dans l’Aveyron, repérer l’escalier artisanal gravissant le talus, puis entrer dans le bois. C’est ici que commence le terrain de Jean, un demi hectare acheté 2000 francs à l’époque. Au milieu de terrasses en déshérence, il a posé - on se demande comment - sa caravane et sa volonté de vivre en ermite. Ici, pas d’eau courante, des tôles recueillent l’eau de pluie. Un panneau solaire produit 12 volts pour deux ampoules de radio.
Originaire de Bourgogne, Jean, 50 ans, travaillait dans l’entreprise de son frère et trimballait un profond mal-être avant de décider en 1999 "d’arrêter de picoler". "En Bourgogne, le pinard, c’est une culture. Je buvais depuis l’âge de 14 ans, et ça m’a pourri la vie. Mais se lever tous les matins avec pour seule envie de gagner plus d’argent, c’est aussi de l’addiction. Aujourd’hui, j’ai une autre conception de l’existence, détachée des choses matérielles".
"Je tente de créer chez moi un lieu d’accueil et de réinsertion autour de la culture des fruits rouges et de la réfection des sentiers ruraux, un patrimoine à l’abandon." Et quand Jean ne cherche pas de soutiens pour ce projet, dont il élève les premiers murs, il cultive son jardin couchant ses souvenirs dans un livre qu’il espère achever l’an prochain. Et, pourquoi pas, publier, histoire de tourner la page.
MARIE JOSEE, 36 ans
Orléans
Mariée, 9 enfants
2000 euros par mois
Christophe, 17 ans, Priscilla, 16, Coralie, 13, Gwendoline, 12, Karina, 11, Guillaume, 8, Jason, 6, Audrey, 4 et Delphine, 2 ans. Marie-Josée, mince jeune femme brune de 36 ans à l’air plus que fatigué, égrène consciencieusement l’état civil de ses neuf enfants, non sans fierté. Pas de plainte, pas de mine accablée. Surtout se tenir bien droit devant les autres, qui ne la ménagent pas. "Les interrogatoires, les reproches, j’en entends tous le temps. Ils n’aiment pas les personnes qui ont beaucoup d’enfants. Mais maintenant je m’en fiche." Désirée ou pas, sa tribu est là, et c’est sa grande richesse. Sa seule richesse.
Car si le cœur de Marie-José est plein d’amour pour ses enfants, son porte-monnaie, lui est bien vide. La famille vit grâce au RMI et aux allocations familiales, environ 2000 euros par mois. Le gros du budget : l’école privée pour les six aînés, soit 900 euros par mois. Avec la bourse, ça ne fait plus que 400. "Là-bas, ils peuvent rester tard à l’étude pour faire leurs devoirs." Bien pratique quand on vit tassé à 11 dans un HLM trois pièces du quartier La Source à Orléans (Loiret), avec en prime un labrador et un chat. Loyer : 190 euros par mois.
Parfois, Marie-José rêve de reprendre un travail : "Ca me reposerait". La jeune femme fut un temps "serveuse au Novotel", après être passée par un CFA hôtellerie. Puis les enfants sont arrivés. Son compagnon, lui, était chauffeur-livreur avant d’être opéré d’une double hernie discale. "Le lendemain de son opération, on avait la sécu chez nous pour voir si on mentait pas sur les congés maladie, s’esclaffe-t-elle. Et les flics aussi, je sais pas trop pourquoi". Depuis, il n’a plus jamais travaillé. La santé ne s’est guère améliorée, et sa femme ne sait pas toujours ce qu’il fait de ses journées.
SARA : 38 ans
Rouen
Mariée, 5 enfants
Pas de revenu déclaré
Cinq ans qu’elle est arrivée en France et qu’elle attend. Le petit morceau de papier qui lui ouvrira la porte de la reconnaissance. Le sésame qui l’autorisera enfin à disposer des droits de chacun : HLM, CAF, RMI et, surtout, le droit de travailler. Débarquée d’Algérie parce qu’elle y était menacée, Sara vit désormais dans un 25 m2 rouennais avec son mari et ses cinq enfants, 4 filles et un garçon âgés de 7 mois à 13 ans.
"Je ne suis pas une clandestine", affiche fièrement Sara. La preuve : elle se rend à la préfecture tous les trois mois pour obtenir une autorisation provisoire de séjour renouvelée à la discrétion du préfet. Cette fierté coûte cher. Sur sa déclaration d’impôts vierge de tous revenus, Sara a dit posséder une télé. Résultat : 116 euros à payer au FISC "pour un vieux poste qu’on m’avait donné". Le dossier est entre les mains de l’assistance sociale. Si Sara et son mari obtiennent un jour des papiers, ils ouvriront un commerce de fruits et légumes, offriront des cadeaux pour Noël à leurs enfants, partiront en vacances, pourquoi pas. Mais pour l’instant : "On se bat pour vivre, c’est tout. Mais nous ne retournerons pas là-bas".
ELIANI : 28 ans
Matoury (Guyane)
Mariée, 4 enfants
900 euros par mois
Ils habitent au bout d’un chemin plein d’ornières, qui se faufile entre deux palissades de tôles. Nicolas, Eliani et leurs quatre enfants, âgés de 2 à 7 ans, vivent à Cogneau-Lamirande, une zone d’habitat illégal de plusieurs milliers de résidants, à Matoury, à la périphérie de Cayenne en Guyane. Nicolas, un "métro" de 28 ans, a construit lui-même sa maison - en bois, avec une grande pièce et deux chambres - avec l’aide de sa femme, Eliani, originaire de l’Etat brésilien du Para. Tout bascule en 2000, quand le jeune homme, serveur dans un restaurant, perd son emploi. "On louait une maison, se souvient-il, on a eu des problèmes avec la CAF, on est resté pendant six mois sans rien recevoir, pas même le RMI... Impossible de payer le loyer... La seule solution, c’était de s’installer ici, de se mettre sous des bâches... ".
L’installation devient durable quand ils apprennent que les propriétaires du terrain seraient prêts à négocier la vente du foncier avec la cinquantaine de familles implantées sur la même parcelle. L’acquisition est en cours, selon Nicolas, euro après euro, mois après mois... Même s’ils n’entrent pas dans le périmètre de l’opération de Résorption de l’Habitat Insalubre lancée par la mairie avec le soutien financier de l’Etat, le couple espère obtenir à terme un permis de construire. "Cela fait près de dix ans que je dépose des dossiers de logement social, sans avoir de réponse", déplore Nicolas, pour expliquer son installation "sauvage".
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A matoury, la patience est porteuse d’espoir. Un jour peut-être. (Photo : DR) JPEG - 62.8 ko 400 x 298 pixels |
Loin de tout, et quasiment sans revenu, il a redonné un sens à sa vie (photo : Sébastien Soulié) JPEG - 70.9 ko 400 x 301 pixels |