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« Les prix trop faibles des légumes sont artificiels »
mercredi, 17 août 2011 / Agathe Mahuet

« Pour contrer la crise du secteur des fruits et légumes, les coûts sociaux et environnementaux engendrés par leur production doivent être pris en compte », explique Elizabeth Laville, de l’agence Utopies.

Mercredi 7 septembre, le ministre de l’Agriculture a annoncé que 25 millions d’euros seraient versés aux producteurs de fruits et légumes. Un secteur affecté par une forte baisse des prix dus à des récoltes abondantes, aux empoisonnements liés à la bactérie E.Coli et à une concurrence étrangère forte.

Rien ne va plus pour la tomate française. Après la pêche, la nectarine, la poire et l’artichaut, voilà l’un des fruits stars de l’Hexagone déclaré à son tour officiellement « en crise » par le ministère de l’Agriculture. Les producteurs de fruits et légumes sont au bord du gouffre financier et multiplient les actions pour que cela se sache ; jeudi (18 août, ndlr), ils seront à la Bastille, à Paris, pour une grande vente directe de leurs produits aux consommateurs. Des circuits courts qu’il faudrait privilégier systématiquement selon Elizabeth Laville, fondatrice et directeur d’Utopies, une agence de développement durable.

Terra eco : Comment comprenez-vous cette crise maraîchère ?

Elizabeth Laville  : Le problème est que nous sommes habitués à payer très peu pour consommer des fruits et légumes, car les externalités ne sont jamais prises en compte. Les prix de ces fruits et légumes, très bas, ne reflètent pas le coût du travail réalisé par les agriculteurs, ni celui de l’impact environnemental de leur production. Ces prix sont donc artificiels, et l’alimentation bon marché n’est pas honnête par rapport à ce qu’elle coûte réellement. Si le seul coût environnemental était intégré au prix de ces produits, l’ensemble des fruits et légumes disponibles sur les étals coûteraient 2 à 4 fois plus cher.

Dans ce contexte, les consommateurs français sont-ils condamnés à manger autrement que français ?

Ils ne sont pas condamnés, mais ils ne sont pas aidés non plus. Les consommateurs cherchent à économiser, ils regardent le prix avant la provenance des produits. Acheter des tomates andalouses est donc compréhensible, surtout si l’on ferme les yeux sur le manque d’exigence sociale ou sanitaire des producteurs espagnols. Les agriculteurs, qui se plaignent de cette « concurrence déloyale », devraient mettre sur le tapis la question des externalités. Si l’on prenait en compte la consommation d’eau nécessaire aux cultures hors-sol, très répandues sur la péninsule, les tomates espagnoles coûteraient bien plus cher.

En attendant, la part de l’alimentation dans le budget des ménages français a été divisée par deux entre 1960 et 2006 (tombant à 12%, ndlr), tandis que celle de la santé a doublé : elle est de 13% aujourd’hui. Et personne ne fait le lien entre les deux !

Peut-on considérer que la grande distribution joue le jeu ?

Les enseignes commencent seulement à s’y mettre. Mais leurs efforts sont difficilement lisibles : on trouve souvent, dans un même rayon, des haricots du Val de Loire et d’autres produits au Kenya... La grande distribution doit absolument signaler ses produits importés par les airs, en collant le gros logo noir d’un avion sur l’emballage. C’est ce qu’ont fait Marks and Spencer au Royaume-Uni, ou Coop en Suisse, avant de supprimer ces produits de leur approvisionnement à plus long terme.

Comment peut-on alors valoriser la consommation de produits locaux ?

En jouant sur ce contre quoi la tomate espagnole est impuissante ! L’histoire des fruits et légumes que l’on consomme justifie leur saveur, et donc leur valeur. Il faut assumer cette histoire, admettre ce que cette crise nous dit : le prix trop faible de nos produits n’a pas de sens. Privilégier les circuits courts de commercialisation, c’est un début de solution. Si l’on est en vacances en Corse, il faut consommer des produits locaux, quitte à acheter ses fruits et légumes sur le bord de la route. Et éviter de choisir, pour faire ses courses, les grandes surfaces de Porto-Vecchio qui ne proposent pas un seul poisson issu de la pêche locale.

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