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Honoraires des médecins : la solution c’est le plafond ?
jeudi, 21 juillet 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Dans la nuit du 20 juillet, Assurance maladie et médecins ont défini les contours d’un nouvel accord. Au coeur du projet, l’introduction d’un nouveau secteur tarifaire destiné à limiter les abus. Pour ses détracteurs, la mesure risque plutôt de légitimer les dépassements.

A première vue, l’objectif est louable : il s’agit de limiter la gourmandise des médecins. Car les dépassements d’honoraires - en clair les quelques euros ou dizaines d’euros supérieurs au tarif remboursé par la sécurité sociale - sont en explosion depuis de nombreuses années. En 2010, 2,5 milliards d’euros (sur 20,9 d’euros d’honoraires) ont ainsi été couvert par les complémentaires santé ou sortis de la poche même des patients, soulignait en mai dernier un communiqué de l’Assurance maladie. Et les médecins sont devenus plus gloutons à mesure des années : entre 1990 et 2010, le taux de dépassement pratiqué a carrément doublé.

Dans la nuit du mercredi 20 juillet, l’Assurance maladie et les médecins libéraux ont signé un protocole d’accord vers l’adoption d’une nouvelle convention médicale qui devra régir pour 5 ans les relations entre Sécu et praticiens. Pour mettre en œuvre la convention les syndicats doivent encore se prononcer, ainsi que le gouvernement et les complémentaires santé. Or, au coeur de l’accord, il y a le secteur optionnel. L’idée traîne depuis longtemps dans l’oreille des négociateurs. Elle a, pour l’occasion, été ressortie du placard. Son principe est simple. Jusqu’ici, au sortir de la Fac, les médecins avaient le choix de régler leur ardoise au tarif Sécu (secteur 1) ou de faire des additions plus salées (secteur 2). Dans le premier cas, leurs charges sociales étaient prises en partie en charge par l’Etat. Mais attention, l’option n’était pas ouverte à tout le monde. Seuls les médecins justifiant d’un certain niveau universitaire avaient le droit d’y prétendre. Le nouveau secteur, dit optionnel, est un peu mi-figue, mi-raisin. Il autoriserait les dépassements mais limités à 50% du tarif remboursé et imposerait aux médecins de pratiquer 30% de leur activité au tarif Sécu. Dans ce cas, à nouveau, l’Assurance maladie prendrait en charge une partie de leurs cotisations. Enfin, il serait réservé aux obstétriciens, chirurgiens et anesthésistes déjà au secteur 2 ou qui auraient pu l’être.

Bientôt des dépassements généralisés ?

Une bonne nouvelle pour Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF). « Il fallait organiser tout ça. On ne pouvait pas laisser chacun faire ce qu’il veut dans son coin ». Car les abus existent. « Nous avons enregistré des pointes dans les cliniques huppées d’Ile-de-France, assurait, en mai, lors d’une conférence de presse le patron de l’Assurance maladie, avec des tarifs dix fois supérieurs à ceux de la Sécurité sociale. » Mais qui pourrait bien se ruer vers ce nouveau secteur ? « Sans doute les gens qui n’ont pas choisi le secteur 2 au départ alors qu’ils le pouvaient. Soit un très petit nombre de personnes », tempère Marie Kayser présidente du Syndicat - minoritaire - de la médecine générale. Pas vraiment ambitieux comme réforme. A moins, comme le soupçonne la praticienne, que la porte ne soit à terme ouverte aux autres médecins. D’ailleurs l’Assurance maladie l’envisage. Au terme de la période d’expérimentation de trois ans : « Un état des lieux global (…) permettr(a) d’évaluer son succès (...) et de définir les conditions de sa pérennisation ou de son extension. »

« Le secteur optionnel va vers une généralisation des dépassements, une légitimation », s’inquiète ainsi Mathieu Escot, chargé de mission santé à UFC Que Choisir, une association de consommateurs partie en guerre contre la mesure. D’autant que les contraintes imposées aux médecins sont peu exigeantes, précise-t-il. Un plafond de dépassement à 50% ? « Aujourd’hui le dépassement moyen se situe à 54% » accuse Mathieu Escot. 30% d’actes au tarif de base ? « Déjà les médecins en secteur 2 sont obligés d’appliquer ce tarif en cas d’urgence et pour les plus démunis. Ils pratiquent déjà environ 25% d’actes au tarif opposable ». « Ca dépend des médecins. Il faut faire du cas par cas », défend Michel Chassang de la CSMF.

Et le patient ? Même pas mal ?

Qu’importe le débat, assurent les partisans de la réforme, la mesure sera, pour le patient, indolore. Car les complémentaires santé seront contraintes de rembourser les 50% de dépassement. Aujourd’hui, en revanche, leur taux de couverture varie selon les contrats. Indolore vraiment ? Sauf que les cotisations aux organismes privés pourraient gonfler au tournant, assure UFC Que choisir. D’ailleurs, elles ont déjà progressé de 52% entre 2001 et 2010. Reste enfin le cas des Français dépourvus de mutuelle. Pour ceux-là, la facture restera salée. Selon une enquête réalisée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé Irdes, 16,5% des Français de 18 à 64 ans auraient renoncé à des soins pour des raisons financières en 2008.

Plutôt que d’autoriser les dépassements, ne vaudrait-il pas mieux revaloriser les honoraires des médecins remboursés par la Sécu ? C’est ce que réclament – aussi – les syndicats des intéressés. Une chose est sûre pour UFC Que Choisir. « On va aujourd’hui vers un désengagement progressif. Avec le déport vers l’assurance complémentaire, la part remboursée par l’assurance maladie est noyée », souligne Mathieu Escot. « Dans le système des complémentaires, les cotisations augmentent avec l’âge alors que pour l’Assurance maladie, les cotisations sont proportionnelles aux revenus, quel que soit l’âge ou l’état de santé. Ce sont deux systèmes différents, rappelle Marie Kayser. Tout glissement de prise en charge de l’assurance maladie vers les complémentaires risque d’aggraver l’inégalité de l’accès aux soins. »