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Comment la Zambie et le Ghana sont devenus moins pauvres
lundi, 18 juillet 2011 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Reclassés par la Banque mondiale, les deux pays africains démontrent que le « piège de la pauvreté » peut être déjoué. Exportations, investissements extérieurs, secteurs florissants... Mais pour quel impact social ?

« Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin ». En 2007, le président Nicolas Sarkozy prononçait son sulfureux « discours de Dakar », soulignant l’incapacité de « l’homme d’Afrique » a embellir son futur... Le 1er juillet 2011, ce mythe du « piège de la pauvreté » est tombé, comme le nomment les chercheurs Charles Kenny et Andy Summer dans le Guardian. Un piège dans lequel les pays pauvres s’englueraient sans pouvoir en sortir. La Banque mondiale a en effet publié sa nouvelle classification des économies du monde : les Îles Salomon, la Mauritanie, la République démocratique populaire du Laos, mais aussi le Ghana et la Zambie, deux pays africains, sont passés du statut d’économies à faible revenu à celui d’économies à revenu intermédiaire de la tranche inférieure.

Un revenu annuel par habitant supérieur à 1006 dollars

Traduction de ce « reclassement » : le revenu moyen annuel par habitant est passé dans ces pays de 1005 dollars ou moins (710 euros) à une fourchette comprise entre 1006 et 3975 dollars (711 et 2809 euros). Si elles restent qualifiées d’économies en développement, le Ghana, en Afrique de l’Ouest, et la Zambie, en Afrique australe, n’en quittent pas moins le groupe des pays les plus pauvres au monde, qui ne sont plus que 35, sur les 182 pris en compte par la Banque mondiale. Tanzanie, République démocratique du Congo, Bangladesh... : ensemble, les pays de ce groupe comptabilisent pas moins de 800 millions de personnes, dont 350 millions vivraient avec moins de 1,25 dollar par jour (86 centimes d’euros).

Les raisons de la « réussite » du Ghana et de la Zambie ? D’après le rapport « Commission for Africa 2010 », l’augmentation de l’aide à l’Afrique, de 46% depuis 2004, a permis aux pays concernés « d’accroître leurs dépenses dans les domaines de la santé, de l’éducation et dans d’autres secteurs sociaux ». Pour le Ghana, l’aide est ainsi passée de 422 millions d’euros en 2000 à 1 118 millions en 2009. Pour la Zambie, de 562 à 897 millions d’euros sur la même période.

Des secteurs florissants

Mais ces aides, aux effets discutés, sont loin d’être les seuls leviers pour ces deux économies africaines. Celles-ci sont aussi allégées d’une partie du poids que les dettes extérieures faisaient auparavant peser sur leur dynamique. Au Ghana, ces dettes représentaient par exemple 126,6 % du Revenu national brut en 2000, chiffre abaissé à 37,3 % en 2009. Pour la Zambie, ce « fardeau » est passé de 185,7 % à 26,8% du RNB. Dans ce pays, c’est aussi le potentiel minier qui est entré dans la danse, enrichissant le revenu, avec l’ascension fulgurante des économies émergentes. « Le prix du cuivre (l’exportation principale du pays) a chuté dans les années 1980 mais est remonté en flèche au milieu de la dernière décennie, alors que la Chine et l’Inde ont augmenté leur demande pour ce métal », analysent les deux chercheurs britanniques dans le quotidien britannique.

L’attrait toujours plus grand des investisseurs pour le grand continent est aussi essentiel. D’après l’étude « Africa attractiveness », les investissements de capitaux devraient ainsi atteindre les 150 milliards de dollars (106 milliards d’euros) en 2015 ! Le Ghana qui s’est déclaré en novembre dernier 60% plus riche qu’attendu, bénéficie par exemple de la florissante santé du secteur de la téléphonie mobile. Dans un récent rapport, la Banque mondiale donne aussi en exemple la dynamique et la robustesse du secteur de la production de cacao ghanéenne.

Le ministre zambien des finances et de la planification nationale se réjouit quant à lui, dans les pages du journal d’investigation Zambian Watchdog, de la baisse des aides à venir pour son pays (la classification économique détermine le niveau et les types d’aides fournies). Selon Situmbeko Musokotwane, la Zambie sera désormais en mesure d’accéder à davantage de financements sur une base commerciale, par opposition au scénario précédent où la Zambie ne pouvait accéder, en raison de son mauvais état économique, qu’à des prêts concessionnels, aux taux d’intérêts certes avantageux mais en nombre limité par nature.

Une pauvreté toujours là

Reste que pour Patrick Mucheleka, le directeur exécutif de la Société civile pour la réduction de la pauvreté en Zambie, ce reclassement « n’a rien d’excitant ». « On pourrait célébrer cela si les niveaux de pauvreté diminuaient, mais qu’est-ce que cela veut dire pour les gens dans les villages, où les niveaux de pauvreté restent élevés ? Nous aimerions que la Banque mondiale nous disent de combien la pauvreté a été réduite », s’emporte-il dans le Post Zambia. Une analyse confirmée par Olivier Vallée, économiste et consultant international : « Les économies de ces deux pays vont peut-être globalement mieux. Mais cela n’induit pas que les besoins primaires de ces populations soient satisfaits. »

Dans ce pays d’Afrique Australe, 59,6% de la population vivent en effet toujours sous le seuil de pauvreté (contre 66,5% en 2002). Le taux d’alphabétisation des adultes de plus de 15 ans plafonnent toujours à 71%, progressant plus que timidement (68% en 1999). L’espérance de vie, de 46,3 ans en 2009, n’a quant à elle toujours pas retrouvé son niveau de 1985, année où elle avait atteint 52,1 ans. Le Ghana, lui, fait un peu mieux. Le taux de pauvreté national n’a pas cessé de décroître depuis 1992 (51,7%), atteignant 39,5% en 1998 et 28,5% en 2006. Mais le taux d’alphabétisation y stagne à 66,6%. Tout comme l’espérance de vie, de 56,8 ans, qui peine à retrouver son niveau de 1995 (59,1 ans). « C’est une vieille technique des pays occidentaux pour encadrer les aides publiques au développement. En période d’opulence, on s’intéresse à des indicateurs sociaux, comme ceux décrits dans les Objectifs du Millénaire. On joue sur le misérabilisme pour drainer de l’aide et les pays donateurs se réjouissent de leurs bonnes actions. Mais en période de crise, comme depuis 2008, ceux-ci affirment au contraire que les pays africains peuvent se débrouiller seuls, en se fondant sur des indicateurs économiques qui montrent ce qu’ils veulent », conclut le spécialiste français. CQFD.