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La guerre aux fraudeurs sociaux est-elle rentable ?
mardi, 12 juillet 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

Avec 20 milliards d’euros de fraudes enregistrés en 2010, le gouvernement risque de muscler encore son arsenal. Mais la lutte coûte cher et les sommes récupérées sont parfois minimes. L’opération est-elle rentable ? Eléments de réponse.

Halte aux fraudeurs ! Le gouvernement fait les gros yeux. Car les chiffres sont costauds. Le 29 juin, Dominique Tian, député UMP des Bouches-du-Rhône, dépose en grande pompe un rapport sur le bureau de l’Assemblée nationale. La triche sociale coûterait à la République 20 milliards d’euros. Ce n’est pas rien. C’est grosso modo le déficit de la Sécurité sociale attendu pour cette année. Du coup, l’objectif s’impose : « L’ampleur des déficits sociaux et la volonté de mieux maîtriser la dépense publique rendent nécessaire un meilleur contrôle de la dépense sociale », précise le texte.

Ca sent la flagrance

Un « meilleur contrôle » ? Comprenez une guerre aux fraudeurs plus musclée. L’arsenal existe déjà : comité national de lutte contre la fraude, délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) (encore non opérationnel). D’ailleurs la lutte contre la fraude a déjà obtenu des résultats. Selon le rapport Tian : 458 millions d’euros de fraudes auraient été détectées en 2010. Mais le rapport préconise d’aller plus loin et d’instaurer une carte vitale biométrique, des ordonnances électroniques sécurisées, de créer un fichier national des employeurs condamnés, et une procédure de « flagrance sociale »...

La guerre aux petits

Reste que l’arsenal est étrangement dirigé. En effet, dans le panier de la fraude, on distingue les tricheries sur les prestations et les autres sur les cotisations. D’un côté, il y a les particuliers qui reçoivent indûment des aides, de l’autre, les entreprises qui « oublient » de cotiser correctement pour un employé ou le payent carrément au noir. Mais l’échelle n’est pas la même. Loin s’en faut. La fraude aux prestations pèserait pour 2 à 3 milliards d’euros, celle aux cotisations priveraient les caisses de l’Etat de 8 à 15 milliards d’euros selon le rapport Tian. D’un côté 0,46% des allocataires seraient concernés, de l’autre 10 à 12% des entreprises.

Incertitudes

Et pourtant... la fraude aux prestations semble davantage ciblée. Elle a même été déclarée prioritaire dans une lettre de mission adressée le 1er octobre 2007 au ministre des comptes publics par le Président de la République et le premier Ministre : « le chantier de la lutte contre la fraude aux prestations sociales, dont l’enjeu financier n’est même pas connu avec précision, est celui pour lequel les efforts les plus importants sont à mener ».

Procédures brutales

Et ça se vérifie dans les faits. « Les moyens sont surtout mis sur la fraude aux prestations qu’on juge inadmissible », assure Julien Damon, professeur associé à Sciences-Po. « La lutte contre la fraude est surtout déséquilibrée quand on voit le luxe de précautions prises pour s’attaquer aux acteurs du soin (médecins, pharmaciens, etc, ndlr) et la brutalité des procédures réservées aux bénéficiaires de l’assurance maladie », souigne pour sa part Christian Saout, président du collectif interassociatif sur la santé. Pourquoi une telle différence de traitement ? « Parce que c’est plus spectaculaire, que beaucoup plus de gens sont concernés. Même si la fraude ne concerne que de petites sommes à chaque fois. De l’autre côté (du côté de la fraude aux cotisations sociales, ndlr), c’est plus difficile à retracer ».

Tout ça pour... 0,096%

Résultat : lors de son audition devant la mission d’évaluation des comptes de la sécurité sociale (Mecs), le ministre du travail Xavier Bertrand a fait état d’un montant de 457,8 millions d’euros de fraudes détectées en 2010 dont 266 millions pour les fraudes aux prestations et 185 millions pour le travail non déclaré. 266 millions, une fortune ? Pas tant que ça si on juge les sommes engagées. Exemple avec la branche maladie et ses 150 à 160 millions de fraudes détectées depuis 2008 : soit 0,096% du montant total des dépenses de l’assurance maladie fixé à 162,4 milliards d’euros en 2010 ! « La fraude des pauvres est une fraude pauvre, dit Christian Saout. Ce n’est pas là qu’on trouvera des gisements d’efficience pour l’assurance maladie »

  Une guerre coûteuse

Pis, la guerre aux petits fraudeurs pourrait bien creuser encore le trou dans les caisses de l’Etat. Difficile de connaître le coût de l’arsenal déployé. Les chercheurs sont formels : les chiffres n’existent pas. « Mais si on estime par exemple qu’il y a 600 contrôleurs rien que pour la branche familles et qu’ils coûtent par exemple 100 000 euros bruts par an, ça fait des coûts substantiels. Les applications système sont aussi coûteuses comme celles utilisées par le RNCPS. Elles sont vendues cher par les entreprises qui les conçoivent », estime Julien Damon.

Une chose est sûre, l’efficacité n’est pas toujours au rendez-vous. Deux exemples pris ça et là le suggèrent :

Mais la rentabilité est-elle à chercher à tout prix ? Pas sûr. « La lutte contre la fraude est indispensable même si on ne récupère pas beaucoup, confirme Julien Damon. Elle a une fonction de dissuasion indispensable. Et celle-ci est très difficile à mesurer ».


De vrais fraudeurs ?

Qu’est-ce qu’un fraudeur en somme ? Et comment séparer le bon grain de l’ivraie ? Comment distinguer les fraudeurs volontaires des oublieux de bonne foi ? Ou même des victimes des erreurs du système ? « C’est d’une grande difficulté de qualifier la fraude, confie Julien Damon. Et plus le système est compliqué, plus il va y avoir des niches où peuvent être réalisés les fraudes. Inversement si on le simplifie. Si on demande par exemple simplement aux gens des déclarations sur l’honneur pour éviter trop de paperasses, c’est la porte ouverte à la fraude. » Et « cette fraude (par omission ou non-transmission de justificatifs, ndlr) est par les volumes financiers concernés sans commune proportion avec les fraudes non intentionnelles des établissements de santé et des professionnels de santé », souligne Christian Raout, dans un texte publié dans la revue Droit social