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La méthanisation : une solution pour endiguer les algues vertes ?
lundi, 11 juillet 2011 / Agathe Mahuet

En se rendant le 7 juillet sur la presqu’île de Crozon, Nicolas Sarkozy a prié les agriculteurs de se mettre à la méthanisation pour résoudre le problème des algues vertes sur les plages bretonnes. Une fausse bonne idée, répondent intéressés et scientifiques.

Mardi 6 septembre, L’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) a conclu à la culpabilité des algues vertes dans la mort de 36 sangliers sur les plages des Côtes d’Armor cet été. L’organisme a mesuré l’hydrogène sulfuré présent dans les sols et dans l’air et repéré des dégagements importants. Un danger pour l’homme ? Même s’il est peu probable qu’un individu soit exposé aux concentrations maximales qui correspondent à des « bouffées » au niveau du sol ou dans les dépôts d’algues, « les concentrations mesurées peuvent atteindre les seuils mortels (2.408 mg/m3 pour une exposition d’une minute) », affirme le document. Et l’organisme de conclure : « L’hypothèse de la survenue d’un accident ne peut être écartée. »

Chaque été ça recommence. Avec l’arrivée des beaux jours, elles viennent se poser en masse sur les plages bretonnes. Mais en 2009, les algues vertes n’ont pas seulement envahi les côtes du Finistère ou des Côtes-d’Armor : elles ont aussi gagné les esprits, et entraîné une prise de conscience nationale.

Nicolas Sarkozy l’a compris et s’est donc déplacé en Bretagne, ce jeudi, muni d’un discours bien rôdé. Et de deux idées très précises. Primo, pas question « de désigner des coupables, de montrer du doigt les agriculteurs qui font d’énormes progrès en la matière ». Le problème des algues vertes, d’où qu’il vienne, n’est pas à mettre sur le dos des cultivateurs bretons, non responsables « des choix économiques qui ont été faits il y a longtemps ». Soit.

Vint ensuite la solution suggérée par le chef de l’Etat : « Il faut privilégier les appels à projets, notamment sur les unités de méthanisation. J’y crois beaucoup. » La méthanisation ? Un processus qui permet de transformer le lisier, riche en azote – à l’origine de la pollution des plages par les algues vertes – en un biogaz, producteur de chaleur et d’électricité. Et la délégation officielle de repartir, satisfaite de sa prescription. Pendant que les agriculteurs bretons lèvent les yeux au ciel.

« Ce n’est pas une solution », martèle Jean-François Piquot, porte-parole d’Eau & Rivières de Bretagne. Certes, le processus de méthanisation crée du biogaz, mais ne supprime pas les éléments nutritionnels – l’azote, le phosphore, le potassium – contenus dans le lisier. « Donc non seulement c’est polluant et risqué, mais en plus cela ne règle en rien le problème des algues vertes bretonnes », dont la prolifération est bien la conséquence des rejets d’azote.

Pourtant, le processus de méthanisation pourrait être une piste exploitable, selon un expert. « Il faudrait ajouter une étape au processus », explique René Moletta, consultant en méthanisation. Dans un processus classique, le lisier passe dans le méthaniseur et produit d’un côté du biogaz, de l’autre le digestat formé en partie de l’azote transformé en ammoniaque. Dans ce cas-là, on n’est donc pas débarrassé de l’azote.

Mais s’il subit un passage dans un réacteur de nitrification (dans lequel il est oxygéné), l’ammoniaque se transforme en nitrites et en nitrates - toujours composés d’azote. Renvoyés une dernière fois dans le méthaniseur, ces éléments deviennent du diazote (N2) : un gaz présent à 78 % dans l’atmosphère. L’azote initialement traité est alors en grande partie éliminé. « C’est tout à fait envisageable, explique René Moletta, mais c’est un procédé qui n’existe pas encore. » Quant à la méthanisation traditionnelle, l’expert confirme : elle n’a pas d’impact sur les algues vertes de nos plages bretonnes.

De toute façon, la version améliorée du processus de méthanisation, Jean-François Piquot n’en veut pas non plus. « Ce n’est même pas le sujet ! » explique-t-il. « On nous parle d’“industrie” quand on s’inquiète de notre “agriculture”. » Le vrai problème, pour le porte-parole d’Eau & Rivières de Bretagne, c’est justement qu’on s’en éloigne. La solution qu’il propose ? Des modèles d’agriculture plus traditionnels, des systèmes herbagés pour les vaches laitières, et la fin de l’industrialisation à tout prix. En quelques mots : « plus d’agriculteurs, moins de cheptels ».

Une voie que WWF France pousse également à emprunter. A travers un communiqué publié vendredi, l’ONG demande « une profonde réforme des pratiques agricoles » et confirme les propos de Jean-François Piquot. Seulement voilà, « ces modèles ne sont pas soutenus politiquement », regrette WWF. Raison invoquée : ils remettraient en cause « toutes les activités connexes du modèle productiviste ».

La méthanisation, de son côté, est plus vendeuse : puisqu’elle permet de créer facilement de l’énergie, « elle fait miroiter une source de bénéfices pour les petits agriculteurs, qui peuvent la revendre à EDF », analyse le représentant d’Eau & Rivières Bretagne. Et puis fabriquer du biogaz, cela permet aussi de se donner bonne conscience. Electoralement, c’est bon pour Nicolas Sarkozy, mais pour les algues bretonnes, c’est inutile.