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God save la planète
mercredi, 29 juin 2011
/ Emmanuelle Vibert
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Depuis un demi-siècle, la question verte a peu à peu investi le champ religieux. Pour le meilleur ?
Et si la panade environnementale dans laquelle on a le nez fourré était de sa faute à Lui, tout là-haut ? Oui, à Dieu lui-même ! Enfin, pas n’importe quel dieu. Celui des chrétiens tout particulièrement. L’idée ne date pas d’aujourd’hui, mais de 1966. Elle émane de Lynn White Jr. Ce professeur d’histoire médiévale à l’université de Californie donne alors une conférence intitulée « Les racines historiques de notre crise écologique », qui sera publiée l’année suivante dans la revue Science. Ses paroles vont secouer le cocotier des milieux religieux, philosophiques et même politiques. Et ouvrir un débat qui dure encore.
Que dit Lynn White Jr ? Il avance, par exemple, que « spécialement sous sa forme occidentale, le christianisme est la religion la plus anthropocentrique que le monde ait connue ». Et de souligner : « Non seulement le christianisme établit un dualisme entre l’homme et la nature mais encore il soutient que c’est Dieu qui veut que l’homme exploite la nature pour ses propres fins. » L’universitaire enfonce le clou : « En détruisant l’animisme païen, le christianisme a permis l’exploitation de la nature dans un climat d’indifférence à l’égard de la sensibilité des objets de nature. » (1).
Et ce n’est pas un hasard si le WWF décide de célébrer, en 1986, ses 25 ans à Assise, en Italie. Sont invités à la fête des représentants de cinq des plus grandes religions mondiales : le bouddhisme, le christianisme, l’hindouisme, le judaïsme et l’islam. Auprès du prince Philip himself, duc d’Edimbourg, époux de la reine d’Angleterre et à l’époque président de l’ONG, chacun des responsables religieux s’engage alors à diffuser la bonne parole écologique.
Ce raout très médiatique et photogénique – imaginez un bouddhiste en tenue safran, un musulman en turban, un juif en kippa priant ensemble sur la place médiévale d’Assise ! – débouche, en 1995, sur la création de l’Alliance of Religions and Conservation (ARC). Son but : « Aider les plus grandes religions du monde à développer leurs propres programmes environnementaux. » Puis, les bahá’is, les taoïstes, les jaïns et les sikhs rejoignent le groupe initial. En 2000 s’y ajoutent les shintoïstes et les zoroastriens.
Les membres de l’ARC ne se contentent donc pas de prières ou d’exégèses mais apportent leur appui à des actions menées, avec des ONG, par des groupes religieux. Les plus actifs au sein de l’Alliance sont les bouddhistes et les chrétiens. Des exemples ? Au Royaume-Uni, l’ARC a créé un réseau d’échanges de bonnes pratiques entre écoles et universités catholiques. On y parle techniques de jardinage ou transports alternatifs. Au Cambodge, une association de moines bouddhistes répartis dans quatorze monastères invite les communautés villageoises, avec l’aide de l’Alliance, à protéger la forêt en plantant des arbres, en construisant des poêles à bois à faible consommation… C’est en Chine, en Inde, en Mongolie, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis que l’on dénombre le plus d’actions. Mais aucun des onze cultes n’est en reste.
Des hindous ont lancé un programme au Népal pour rendre ses couleurs à la rivière sacrée Bagmati, en encourageant ses riverains à ne pas la polluer. Aux Etats-Unis, l’association juive Hazon crée des genres d’associations pour le maintien de l’agriculture paysanne qui relient les membres d’une synagogue à un fermier bio. On en dénombre une cinquantaine à ce jour. En Tanzanie, des musulmans ont convaincu une communauté de pêcheurs d’adopter des pratiques responsables, inspirées du Coran. Depuis 2009, le mouvement EcoSikh célèbre chaque 14 mars la Journée sikh de l’environnement. Il aide également Amritsar, un centre spirituel dans l’Etat du Penjâb indien, à devenir la première « ville verte sikh ». En Inde encore, des zoroastriens récupèrent les montagnes de fleurs qui envahissent les temples à la nouvelle année pour lancer des actions de vermicompost !
Quant à la France, elle ne figure sur la liste qu’avec un seul projet, celui du monastère orthodoxe de Solan près d’Uzès dans le Gard, où l’on cultive la vigne selon les principes d’agroécologie du penseur et agriculteur Pierre Rabhi.
Si les croyances religieuses divisent, attisent les haines, provoquent des guerres, l’ARC tente à l’inverse de réunir les fidèles autour d’un dénominateur commun : « Chaque religion croit que le cadeau de la vie est sacré : il ne nous appartient pas mais nous avons la responsabilité de le préserver », avance-t-on sur le site de l’Alliance.
Indispensables, carrément ! C’était déjà le point de vue de Lynn White Jr en 1966 : « Davantage de science et davantage de technique ne viendront pas à bout de l’actuelle crise écologique tant que nous n’aurons pas trouvé une nouvelle religion, ou repensé l’ancienne. » La crise appelle un bouleversement de la société en profondeur. Et nous n’y parviendrons pas, plaident de plus en plus de penseurs, sans élever un minimum nos âmes. « Nous avons besoin d’une spiritualité qui nous apprenne à être présent à la Terre et à vivre selon ses rythmes et ses mythes », écrit Heather Eaton (1), professeur à l’université Saint-Paul d’Ottawa, au Canada, docteur en écologie, en féminisme et en théologie.
(1) A lire dans « Crise écologique, crise des valeurs ? », dirigé par Dominique Bourg et Philippe Roch (Editions Labor et Fides, 2010).
L’IFEES encourage aussi très vivement la sortie de terre de mosquées « vertes », comme celle de Singapour, construite en 2009 et équipée d’un dispositif pour économiser l’énergie (ampoules basses consommation, détecteurs de mouvements…), des réducteurs de débit d’eau, un jardin sur le toit, un mur végétal. Et la Fondation a même pris le parti de verdir le concept de « djihad », le combat spirituel. Elle a lancé à Birmingham une campagne baptisée « Green Jihad », invitant les bons musulmans à nettoyer les rues de leur quartier. —
Le site d’Alliance of Religions and Conservation
Le site de Forum on Religion and Ecology
Le site de l’Islamic Foundation for Ecology and Environmental Sciences