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Les gambas
mercredi, 29 juin 2011
/ Cécile Cazenave
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Elevages intensifs, maladies mortelles, voyages exténuants : les crevettes rament avant d’arriver dans nos poêles. Presque autant que nous à les décortiquer !
Commençons par le commencement… et par une devinette : quelle est la différence entre une gambas et une crevette ? Vous donnez votre langue au chat ? Réponse : aucune. « A l’origine, ce mot espagnol désignait une crevette pêchée en eaux profondes, explique Christian Chaboud, spécialiste des pêcheries tropicales à l’Institut de recherche et développement (IRD). Par extension, il désigne toutes les grosses crevettes. » Aujourd’hui, il y a de fortes chances que votre « cassolette de gambas sautées » n’ait pas commencé sa vie en eaux profondes, mais dans un bassin d’élevage.
Au marché de Rungis, le grossiste Reynaud en achète 1 500 tonnes par an. « 90 % de nos achats proviennent de l’aquaculture : le rapport qualité-prix est meilleur », explique Michel Thieuleux, acheteur de la maison. Chez le poissonnier, la quasi-totalité des grosses crevettes sont des pénéides, une famille tropicale. Plus de 88 600 tonnes ont ainsi débarqué congelées dans l’Hexagone en 2008. Les containers frigorifiés viennent en majorité d’Equateur, d’Inde et de Madagascar.
Chez Aqualma, les 80 bassins de production sont installés sur 715 hectares dans les zones de tannes, sortes de marais salés, juste derrière les forêts de palétuviers. L’entreprise s’est engagée à limiter au maximum le déboisement et à replanter 10 arbres pour un arraché. La production y est semi-intensive : 5 à 10 crevettes, soit 200 g, par mètre carré. « En Asie, les élevages atteignent dix fois cette concentration : les crevettes sont comme des poulets de batterie ! explique Vincent Rigolet. Ici, nos rendements sont moindres mais nos rejets également. » Car les excréments et la nourriture non consommée des élevages intensifs forment des boues toxiques. Et l’animal est glouton. Dans sa pitance quotidienne, on trouve du blé, du soja, de la luzerne, du manioc et des farines de poissons pélagiques. Ceux-ci ont été pêchés au large du Pérou et du Chili, transformés et convoyés jusqu’aux fermes.
Chez Aqualma, la crevette tigre dévore d’abord le phytoplancton naturellement présent, mais réclame un petit dessert : il faut 250 kg d’aliments supplémentaires pour fabriquer 10 tonnes de crevettes ! La nourriture pèse pour 30 % du bilan carbone de la fricassée de gambas finale qui atteint 2,9 kg équivalent carbone par kg de crevette.
Les crevettes labellisées bio représentent 8 800 tonnes par an, soit 0,25 % de la production mondiale. Le cahier des charges garantit que la ferme n’a pas été établie sur une destruction de mangrove.
Un label d’aquaculture durable sur la crevette devrait voir le jour dans le courant de l’année. Issu de tables rondes organisées par le WWF pendant trois ans, la certification ASC (Aquaculture Stewardship Council) devrait garantir des impacts environnementaux et sociaux maîtrisés.