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Ne respectez pas les règles, fixez-les !
lundi, 20 juin 2011 / Emmanuel Delannoy /

Directeur de l’institut Inspire (Initiative pour la Promotion d’une Industrie Réconciliée avec l’Ecologie et la société) et secrétaire général de la Ligue ROC

« Non au conformisme », martèle la dernière campagne pour la Citroën DS4. Un slogan qui fait écho à la révolte actuelle des automobilistes. Une sédition bien naturelle. Après tout, on est en train de leur sucrer le droit d’enfreindre la loi, non ?

Les créatifs de l’agence H, qui a conçu la campagne de lancement du dernier bolide de la marque aux chevrons, semblent avoir été particulièrement inspirés. Je passe sur la ressemblance phonétique DS4 / DSK sur laquelle certains ont cru bon de gloser. Certes, la concomitance entre les démêlés judiciaires de l’ex-futur président de la république et celle du lancement de cette voiture quasi éponyme est surprenante, mais purement fortuite. Il n’y a donc pas lieu d’épiloguer.

Par contre, question air du temps, il y avait de quoi humer : en effet, depuis plusieurs semaines, la révolte gronde. L’heure est grave, on touche à quelque chose de sacré dans notre pays. La France qui pétarade, la France qui roule, la France motorisée, à deux roues et à quatre roues, s’indigne. Motards en colère, VRP, amateurs de belles mécaniques, indignez-vous : « on » veut s’en prendre à nos sacro-saints points ; « on » veut nous piéger ; « on » veut nous empêcher de rouler… Cette juste révolte du peuple motorisé est, comme il se doit, relayée par la presse, fait les gros titres, le 20 heures. Certains députés, représentants du peuple, suivent le mouvement et démontrent leur sens de l’intérêt général. Aucune élection à l’horizon, aucun risque de voir ces Français motorisés, amers et aigris d’avoir dû lever le pied ou d’avoir perdu quelques points, être tentés de sanctionner leur député, représentant l’ordre et le pouvoir, par un bulletin rageur glissé dans l’urne. Pourquoi donc tenter de flatter l’électeur ? Non, cette révolte est juste, nécessaire.

Car enfin, de quoi s’agit-il après tout ? Un tout petit rien, vraiment rien du tout, pas de quoi s’affoler : ce que nous « indignés à moteur » tentons de préserver, ce n’est que le droit de pouvoir continuer à tricher, juste un petit peu, avec la loi, avec le code de la route. Ce n’est donc que ça ? Pouvoir, l’air de rien, s’affranchir de temps en temps des règles ? Rouler à 55 ou 60 km/h en ville ? A 100 km/h sur route ? A 150 km/h sur autoroute ? Evidemment, si maintenant on ne prévient plus avant d’effectuer des contrôles, on se fera prendre, c’est bête. Avant, il suffisait de lever le pied au bon endroit, mais on pouvait accélérer juste après… Un peu comme si la direction de la répression du travail passait un coup de fil avant un contrôle sanitaire dans un restaurant ou dans la cantine où mangent nos enfants. Ou comme si on prévenait les dealers d’une patrouille imminente. C’est vrai quoi, c’est vraiment indécent d’appliquer la loi, comme ça, sans prévenir, ni laisser leur chance à ceux qui veulent, comme la publicité les y invite, à « ne pas respecter les règles », pour imposer les leurs. Pourquoi ces règles, pourquoi ces incessantes tracasseries ? L’intérêt général s’arrête là où commence notre liberté à nous… Nous, indignés à moteur, exigeons de pouvoir continuer à dépasser, juste un petit peu, les limitations de vitesses, de pouvoir glisser, juste un peu, aux feux, de stationner, juste cinq minutes, là où c’est interdit. Et ça gène qui ?

Personne. Juste les 4273 tués sur la route en 2010. Et leurs familles, et leurs amis. Ca gène juste les piétons, les cyclistes, les handicapés, les mamans avec poussettes, les personnes âgées… Les faibles quoi, les gêneurs, les empêcheurs de squatter en rond l’espace public avec nos grosses cylindrées… Sur la route, comme ailleurs, « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, c’est la loi qui affranchit » (1).

Avant de s’insurger un peu trop hâtivement, ceux qui parmi nos élus seraient tentés de céder à la pression des « motorisés indignés », seraient bien inspirés de méditer ces quelques mots de Lacordaire.

Quand aux créatifs, qu’ils se rassurent : il restera toujours des espaces de transgression. Hors de l’espace public, là où la vie et la dignité des personnes n’est pas mise en danger.

(1) Henri Lacordaire, prêtre dominicain, à la 45e conférence de Notre-Dame.