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Après l’énergie, un nouveau monde à imaginer
mardi, 14 juin 2011 / Walter Bouvais /

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Avec Fukushima, le débat sur l’énergie est enfin devenu audible. Pour tordre le cou aux idées reçues, la lecture de « Changer le monde » de Jean-Marc Jancovici, est chaudement recommandée. Malgré les évitements trop faciles sur le nucléaire.

Jean-Marc Jancovici est une sorte d’ovni : polytechnicien, membre du Comité de veille écologique de la Fondation pour la nature et l’homme (ex-Fondation Nicolas Hulot), cofondateur et associé du cabinet de conseil Carbone 4, auteur régulier de tribunes et d’interventions radiophoniques et télévisées, entre autres. Pédagogue et pince sans rire, l’homme signe avec une grande productivité des ouvrages sur la thématique climat-énergie. Sa dernière livraison – « Changer le monde », aux éditions Calmann-Lévy – interpelle surtout par son sous-titre : « Tout un programme ». On perçoit bien l’intention assumée d’alimenter le débat de la campagne présidentielle qui s’ouvre et dans laquelle la question de l’énergie devrait être centrale. Il n’est en tout cas pas interdit de rêver.

La croissance « avec les dents » ? Une chimère

L’énergie, nous rappelle M. Jancovici, « procède de la transformation de la matière », irrigue le monde moderne et rend possible le développement économique. Mais, comme chacun sait, les sources d’énergie se font rares et, souvent, leur transformation contribue à un effet de serre aux conséquences redoutables. Le pétrole, il n’y en a plus assez ; le charbon est une cata environnementale ; les énergies renouvelables coûtent encore cher et ne fournissent pas assez d’énergie. Et puis de toute façons, nous consommons sans limite, si bien que l’humanité semble condamnée à courir après une chimère : l’énergie disponible en grande quantité et à bas prix. Si, donc, quelque candidat à la présidentielle imaginait pouvoir aller chercher la croissance « avec les dents », l’auteur prévient : « Plus vite [celle-ci] repartira, plus vite arrivera le prochain choc pétrolier qui la tuera à nouveau ». Nous voilà bien emmanchés. Malheureusement, l’argumentation de Jean-Marc Jancovici semble imparablement construite. Autant, donc, tourner la page d’un monde révolu.

Feuille blanche

Confrontés à la feuille blanche d’un nouveau monde à imaginer, que nous propose l’auteur ? En premier lieu, un projet réellement enthousiasmant : décarboniser la société. En termes concrets, cela signifie que nous devrions identifier toutes nos petites dépendances aux sources d’énergie carbonées, puis :

- 1) Tenter de les chasser, ces grosses vilaines
- 2) Leur substituer des alternatives « propres » grâce à un méga-programme sur plusieurs décennies, chiffré à quelque 3000 à 6000 milliards de dollars (2000 à 4000 milliards d’euros). Sur le principe, il n’y a rien à dire et il faut prendre le temps de lire : rigueur, pédagogie, argumentation, tout est là, l’humour à la sauce « Janco » en sus. On décèle même chez l’auteur un soupçon d’enthousiasme contagieux.

Stop au café du commerce

Mais il y a un problème : le nucléaire. Pour Jean-Marc Jancovici, on ne pourra pas faire sans. Car c’est la seule façon de traiter à la fois nos besoins quotidiens et de ne pas embarquer l’humanité dans une dangereuse dérive climatique. Sur le fond, l’auteur ne manque pas d’arguments scientifiques, mais son refus d’entendre qu’il y a, au sens politique si ce n’est au sens scientifique, un avant et un après Fukushima, dérange. Car ce que nous apprend – ou nous rappelle – Fukushima, c’est que l’industrie nucléaire manque de transparence ; que ses chiffres demeurent suspects tant qu’ils n’auront pas été soumis à quelque regard critique que ce soit ; qu’on ne sait toujours pas combien coûtera le démantèlement de nos centrales ; qu’il est illusoire de penser que le parc électro-nucléaire français restera une affaire hexagonale sur laquelle nos voisins ne nous demanderont aucun compte ; que la prolifération nucléaire est une question que l’on ne peut traiter à la légère ; qu’au nom d’une indépendance énergétique illusoire, la France est aujourd’hui corsetée dans ses choix d’avenir, du fait d’une dépendance électro-nucléaire, dont l’étau n’est pas près de se desserrer. Sur tous ces sujets, on aurait aimé lire le point de vue acéré de « Janco ».

A l’exception de ces évitements sur le nucléaire, l’ouvrage de Jean-Marc Jancovici est une redoutable arme anti-café du commerce. A mettre donc entre les mains de tous ceux qui pensent avoir quelque chose à dire sur le sujet. Ou qui n’ont rien de particulier à dire mais qui souhaitent comprendre. Et pour ce qui est de l’atome, la société se chargera d’aborder sereinement le débat que Jean-Marc Jancovici balaie d’un revers de la main.

A lire aussi :

- Le dossier de Terra eco « Fukushima, la fin d’un monde »

- Les arguments de Jean-Marc Jancovici concernant le débat sur le nucléaire sont à lire sur son site Manicore

Changer le monde. Tout un programme !, par Jean-Marc Jancovici, éditions Calmann-Lévy, 241 pages, 18 euros.