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« Nous avons pilonné nos stocks de poissons »
vendredi, 10 juin 2011 / Julia Pascual /

Journaliste indépendante. Collabore à Terra eco depuis novembre 2010.

Chaque année, les pays épuisent de plus en plus tôt leurs ressources halieutiques. Une réalité dénoncée par Ocean2012 qui fait la lumière sur cette date charnière : le Fish dependence day.

Pour la deuxième année consécutive, Ocean2012, une coalition de 120 ONG européennes qui lutte contre la surpêche, dévoile le Fish dependence day. Soit la date à partir de laquelle les stocks d’un pays européen ne suffisent plus à satisfaire sa consommation nationale.

Terra eco : Le Fish dependence day, qu’est-ce que c’est exactement ?

Stéphan Beaucher : Le Fish dependence day (FFD) est une représentation virtuelle de l’autosuffisance en produits de la mer d’un État sur une année, c’est à dire de sa capacité à nourrir sa population avec ses propres ressources. Le FFD de la France a été atteint le 13 juin en 2007 (année des dernières données disponibles, ndlr), soit une semaine plus tôt qu’en 2006. L’Union européenne a, elle, perdu un mois d’autonomie entre 2000 et 2007.

Lorsque un État européen ne trouve plus chez lui ce qu’il consomme, il va le chercher ailleurs. Dans les eaux du Chili, du Pérou, de la Chine, de la Norvège… Au Sénégal, au Gabon, aux Seychelles… Ce faisant, il déséquilibre les écosystèmes de ces pays, appauvrit les pêcheurs locaux et les marchés vivriers.

Est-ce que ça veut dire qu’on mange trop de poissons ?

La consommation européenne augmente en moyenne de 2% par an. Un des facteurs explicatifs importants tient au vieillissement de la population car les personnes âgées sont très consommatrices de protéines non grasses. Et puis il y a un discours, véhiculé notamment par la presse féminine, qui met en avant les bienfaits des oméga-3. A chaque fois, c’est le poisson qui trinque, alors qu’il y a des oméga-3 dans la mâche, dans les noix... Le poisson est plus globalement perçu comme un produit sain alors que la viande a essuyé plusieurs crises sanitaires ces dernières années. En 2007, un Français consommait 35,3 kilos de poisson par an (le quatrième plus gros consommateur en Europe, ndlr). Le poisson est devenu la deuxième source de protéines, loin derrière le porc mais loin devant la viande rouge, les œufs ou les produits laitiers. Le problème, c’est que c’est une ressource sauvage dont on ne maîtrise pas la reproduction.

Quelles sont les espèces menacées par la surpêche ?

Au regard de l’état des stocks, notre consommation de morue, sous toutes ses formes, du cabillaud au haddock, est excessive. Sur des produits des grands fonds comme le grenadier, l’empereur, le sabre noir ou la lingue bleue, la consommation est beaucoup moins importante mais, au regard des stocks, infimes, elle fragilise les espèces. Nous avons pilonné nos stocks de poissons. 72% des stocks sont en limite maximale d’exploitation, dont 20% carrément en cours d’effondrement ou effondrés. C’est la sole en mer du Nord, la morue, l’anchois et la sardine en Méditerranée… Ce sont des espèces sur lesquelles on pêche trop d’adultes pour permettre une reproduction ou sur lesquelles on pêche des poissons juvéniles sans même attendre qu’ils atteignent l’âge adulte.

Lorsqu’un stock est effondré, l’espèce est représentée par un nombre d’individus trop infime pour qu’elle puisse défendre sa place dans la chaîne alimentaire. Elle n’y occupe plus qu’une place marginale et disparaît complètement pour la pêche. Quand on surexploite le bas de la chaîne alimentaire, à travers des espèces comme l’anchois ou la sardine, cela provoque une pénurie alimentaire pour ceux d’au-dessus - le merlu, le bar - qui sont menacés à leur tour alors qu’ils incarnent l’alimentation de plus gros poissons comme le thon. La disparition des prédateurs majeurs est aussi la conséquence de la disparition de leur ressource alimentaire.

Il existe pourtant des quotas de pêche européens. Sont-ils inopérants ?

Déjà, il y a de nombreux dépassements et un manque de contrôle. Et puis le quota n’est pas adapté. C’est un tonnage décidé pour un an, sur une zone et une espèce. Il n’y a pas de vision à long terme et aucune approche écosystémique. Nous considérons aussi qu’il faut prendre en compte des critères environnementaux, économiques et sociaux. Les pêcheries ont par exemple un impact plus important sur la ressource si elles capturent des poissons juvéniles ou si, comme le chalut de fond, elles détruisent l’habitat des espèces et empêchent leur reproduction. A l’heure actuelle, il faudrait faire une pause sur des espèces. On sait que les stocks ont une capacité biologique de recouvrement. Ils peuvent augmenter de 15% sur certaines espèces, après une pause de cinq ans.

Y a-t-il une opportunité de changer le cours des choses ?

A partir de cet été et jusqu’à l’automne 2012, il va y avoir une renégociation de la Politique commune de pêche (PCP). La réforme entrera en vigueur en janvier 2013. Il va donc y avoir des affrontements à Bruxelles. Certains États ont des positions assez vertueuses, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Danemark, la Suède. La France a au contraire une position timide. Et puis la réforme de la PCP tombe en pleine campagne présidentielle. Le gouvernement fera tout pour ne pas qu’il y ait de houle. La pêche ne représente qu’1,1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, soit l’équivalent de la culture de la tomate. Mais les pêcheurs ont une forte capacité de mobilisation au niveau local, et ils font pression sur les députés.

- Le rapport Fish dependence 2011 sur le site de la Nef, un think-tank britannique qui fait partie d’Ocean 2012, http://www.neweconomics.org/publica...
- Plus un poisson d’ici 30 ans ?, Stéphan Beaucher, Ed. Les Petits Matins, 2011, 18 euros.


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