https://www.terraeco.net/spip.php?article17798
|
Le vrai-faux retour des farines animales
jeudi, 9 juin 2011
/ Karine Le Loët / Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
Non, la France n’est pas sur le point de réintroduire les produits animaux transformés dans l’alimentation des bêtes. Voilà le consommateur, traumatisé par la vache folle, rassuré. Mais est-ce dommage pour son porte-monnaie ? Et pour la planète ?
Depuis la crise de la vache folle, elles étaient indésirables. Pour stopper l’épizootie, l’Union européenne avait, en 1994, banni de la gamelle des animaux les produits issus de bovins. En 2000, elle avait même interdit toutes « protéines animales transformées ». Blocus. Jusqu’à une alerte début juin. Les « farines animales » s’apprêteraient à revenir sur la scène française, s’inquiètent les médias… un peu précipitamment. A l’origine de l’étincelle : un document du Conseil national de l’alimentation (CNA) qui résume un rapport d’étapes non encore publié. « Ce ne sont pas des choix votés ou formalisés. Il n’y avait pas de raison d’avoir un emballement médiatique », s’étonne Véronique Bellemain, vice-présidente du CNA. Le rapport définitif ne sera rendu qu’en septembre. Et même en cas d’avis favorable, n’ouvrira pas la porte aux farines animales dans l’Hexagone. Car la décision de la réintroduction ne saurait être prise que par l’UE.
Reste que l’Europe bûche bel et bien sur le sujet, selon une feuille de route tracée en juillet 2010. Mais faut-il franchir le pas ? Du côté sanitaire, le CNA semble assez rassurant : il assure que la situation est « désormais maîtrisée » et qu’il y a une « absence de risques pour la santé humaine ». En admettant que ce constat soit confirmé par le rapport final, faudra-t-il donner le feu vert aux produits animaux transformés ? Après tout, les éleveurs de poissons, de porcs ou de volaille s’en sont bien passés pendant des années.
Même constat du côté des protéines végétales. « Depuis quelques années, on constate une augmentation de la volatilité des prix des matières premières. Cette année, le panier des matières premières utilisées en alimentation animale n’a jamais été aussi haut. Or, dans ces matières premières, on trouve le panier utilisé par les fabricants d’alimentation animale : des céréales, des coproduits des céréales, des graisses, de la luzerne, du maïs… », énumère Stéphane Radet. Si elles venaient à être réintroduites, les protéines animales seraient-elles moins chères ? Tout dépend des cours des autres denrées. Selon le CNA, l’avantage économique est « variable, voire incertain, selon les secteurs ». Quoi qu’il en soit, « ça ne va pas se transformer en une baisse de coût pour les agriculteurs mais par une augmentation des marges des formulateurs (les fabricants d’aliments pour animaux , ndlr) », insiste Lionel Vilain, conseiller technique agricole à France Nature Environnement.
Mais le problème n’est pas seulement économique, il est aussi environnemental. Prenons le cas des poissons d’élevage. « Il faut au minimum 10 % d’huile de poissons dans les aliments destinés aux poissons, souligne Lionel Vilain. Du coup, pour produire des poissons d’élevage, il faut piller les ressources marines déjà largement affectées. » Les protéines végétales ne sont pas non plus toutes vertes. « Le soja acheté au Brésil est cultivé en déforestant la forêt tropicale et au prix d’un dumping social », souligne l’homme de la FNE. un bon point pour les farines animales ? Selon le CNA, leur réintroduction pourrait en effet avoir des « avantages environnementaux ».
Reste enfin un problème de taille, celui de l’acceptation. « Qui voudra de ce retour ? Sans doute pas les agriculteurs. Sûrement pas les consommateurs », assure Lionel Vilain. Il est vrai que les consciences restent encore très marquées par le spectre de la vache folle. La preuve ? L’emballement médiatique autour des conclusions – très provisoires – du CNA. Comment alors éviter la pression sur les ressources halieutiques ou le recours au soja brésilien ? « En France, il faut faire pousser nos propres protéines. Du lupin, de la féverole. Ça fonctionne bien, imagine Lionel Vilain. Il faut sortir de ce modèle industriel d’agriculture. » —