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Match : jobs contre environnement aux USA
jeudi, 9 juin 2011 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

L’agence de protection environnementale américaine est au cœur des affrontements qui opposent républicains et démocrates, à un peu plus d’un an de la présidentielle de 2012. Mais les débats ne traitent pas vraiment... d’environnement.

Qui suis-je ? Pour les uns, je m’apprête à détruire des milliers d’emplois. Pour les autres, je vais améliorer la santé de milliers de personnes. Vous séchez ? Normal, car dans tous les cas, on ne parle pas d’environnement. Or celle qu’on décrit ainsi est bel et bien... l’EPA, l’Agence de protection environnementale américaine ! L’institution est en train de devenir l’un des sujets les plus débattus au Congrès, la branche législative du gouvernement fédéral. Et ce bien malgré elle, pour des raisons qui n’ont pas grand chose à voir... avec ses missions environnementales.

Boxeurs en lice : des Républicains en majorité. Ceux-ci tentent de faire annuler les attributions de l’EPA en terme de réduction d’émissions de gaz à effets de serre, au prétexte que celles-ci seraient des « job-killers ». De l’autre côté du ring, des Démocrates. Ceux-là tentent de démentir ce mythe économique et soutiennent que préserver l’environnement protégera aussi la santé des citoyens américains. Les coups, eux, se sont intensifiés depuis que la Chambre des représentants - une des deux branches du Congrès, avec le Sénat - est passée, à l’issue des élections de mi-mandat, dans le camp républicain. Lisa Jackson, qui dirige l’EPA, en sait quelque chose : elle est désormais si souvent convoquée à la Chambre pour répondre de ces problèmes d’emplois que Fred Upton, Républicain et président du Comité sur l’énergie et le commerce, aurait proposé qu’on lui offre une place permanente sur le parking du Capitole à Washington !

77% des emplois miniers perdus... ?

Parmi les questions dont on assomme Mme Jackson et son équipe, celles relatives aux nouvelles normes envisagées par l’EPA pour diminuer la pollution. En vrac : les réglementations sur les chaudières industrielles, les émissions de mercure, l’élimination des cendres de charbon, les émanations de produits chimiques par les cheminées. « Elles vont avoir un effet dévastateur sur les secteurs de la production d’énergie, et plus largement, de l’industrie », s’indignent les anti-EPA. Et de dégainer une flopée de chiffres apocalyptiques appuyant leur position. « Personne n’a idée des effets cumulés qu’auront les mesures prises par l’administration Obama », a expliqué Mike Carrey, devant la Chambre, en mars dernier. « D’après trois études, 77% des emplois dans le secteur des mines de charbon seront perdus d’ici à 2030. Une autre étude du think thank American Council for Capital Formation avance que les règlementations de l’EPA en matière de gaz à effets de serre pourraient déboucher sur des pertes économiques allant de 25 à 75 milliards de dollars (17 à 51 milliards d’euros, ndlr) et sur la disparition de 476 000 à 1,4 millions d’emplois ». Or qui est Mr Carey ? Rien de moins que le président... de l’Association du charbon de l’Ohio. Un autre rapport, signé par des représentants républicains du Sénat, dépeint un tableau aussi sombre : les nouvelles normes en matière de chaudières industrielles liquideraient 800 000 « jobs ». « Sans compter les dizaines de milliers d’emplois mis en péril dans les entreprises associées et les communautés où sont implantées les usines », s’est empressée d’ajouter l’United Steel Workers Union, le syndicat des travailleurs de l’acier.

Vraiment honnêtes, ces rapports ? Ce n’est pas l’avis de l’économiste Eban Goodstein, directeur du Bard Center for Environmental Policy. [Selon lui-http://www.csmonitor.com/USA/Politi...], si les groupes industriels parviennent à ces données économiques alarmantes, c’est parce qu’ils partent du principe que les pertes d’emploi seraient consécutives à des coûts de l’énergie élevés. Ce qui n’a rien d’acquis ! The Economist rappelle pour sa part que cet argument fait partie du « complot » dont on accuse les Démocrates : ils saboteraient les énergies actuelles pour promouvoir des énergies vertes peu compétitives...

… ou un PIB en croissance ?

Mais le plus important dans ces coups bas contre l’EPA n’est pas là. Ces prévisions ne braquent en effet les projecteurs que sur une partie de la situation, omettant sciemment de s’intéresser à d’autres aspects : si l’évolution vers une société américaine plus verte passera forcément par l’abandon progressif de certains secteurs, sources de pollution, elle n’en créera pas moins de nouveaux débouchés dans des secteurs plus respectueux de l’environnement. C’est ce qu’a tenté de rappeler une étude publiée en 2010 par la John Hopkins University et le Center for Climate Strategies. Elle a analysé les résultats obtenus dans seize États américains ayant d’ores et déjà adopté des mesures environnementales et envisagé ce qui se passerait à l’échelle du pays si les ambitieux projets pro-climatiques de l’administration Obama étaient adoptés : réduction prévue de 27% des GES en 2020 par rapport à 1990, augmentation du PIB de 159,6 milliards de dollars (109 milliards d’euros), création de 2,5 millions d’emplois d’ici 2020 et baisse du coût de l’énergie pour les Américains...

Reste que la nation de l’Oncle Sam peine à se redresser de la crise qui l’a frappé de plein fouet en 2008. Résultats : l’économie reste bien au cœur des préoccupations des citoyens. D’après un récent sondage, 45% des Américains pensent que les Républicains sont plus à même de redresser la barre que l’administration Obama (42%). Forte de cette position, l’opposition ne lésine donc pas pour décliner l’argument économique dans tous les domaines, y compris l’environnement. Les Démocrates, eux, ont bien compris qu’il fallait jouer sur le même tableau.« Dans le sillage de la récession, les électeurs peuvent faire passer leurs préoccupations économiques devant le changement climatique, mais ils ne toléreront pas qu’on s’en prenne davantage aux règlementations qui protègent la santé publique », affirme Henry Waxman, un congressiste démocrate.

A l’approche de la présidentielle, mieux faut en effet s’attirer le soutien des lobbyistes de l’industrie ou brosser le citoyen dans le sens du poil. Le débat environnemental, lui, peut bien attendre encore un peu derrière les cordes du ring...