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Et si la France manquait de terres ?
jeudi, 26 mai 2011 / Karine Le Loët /

Rédactrice en chef à « Terra eco ».

60 000 hectares de terres agricoles sont artificialisées chaque année pour construire des usines, des maisons, des routes... De quoi éloigner encore le spectre de l’autosuffisance alimentaire, souligne Philippe Pointereau, agronome.

Philippe Pointereau est directeur du pôle agro-écologie de Solagro et expert sur les politiques agro-environnementales auprès du Centre commun de recherche de la Commission européenne et de l’Agence environnementale de l’environnement.

Terra eco : Vous dîtes que l’artificialisation des terres progresse en France. Mais à quelle vitesse ?

La surface des terres agricoles a atteint un pic dans les années 1960 à 34 millions d’hectares. Depuis on a perdu 5 millions d’hectares. Evidemment, toutes ces terres n’ont pas été artificialisées. Pendant longtemps, la forêt a progressé de 30 à 60 000 hectares par an notamment aux dépends des terres les plus pauvres. Mais la forêt a cessé de croître en 2007. Aujourd’hui, sur les 100 000 hectares agricoles perdus chaque année, 60 000 sont artificialisés (les hectares restants formeent des landes ou sont inondées d’eau pour des barrages). Cette artificialisation prend trois formes : le bâti – les usines, les maisons... - les routes et les parkings et enfin les espaces verts, les pelouses ou encore les talus des autoroutes... Dans cette dernière catégorie, 5 millions d’hectares sont potentiellement récupérables : on peut y installer des composts, des jardins, installer des panneaux photovoltaïques... En clair, on peut jardiner cet espace urbain. Mais ces sols là sont gérés par des non-agriculteurs. Leur potentiel est faible.

A quoi doit-on ce grignotage des terres agricoles ?

La France fait partie des pays les moins économes en terre. Le pavillon individuel est un peu le moteur de tout ça. Parce qu’il engendre la construction de routes, de parkings. Idem quand les gens achètent des maisons à la campagne, ils achètent aussi simultanément souvent des terrains. 20.000 hectares agricoles disparaissent ainsi chaque année. Je comprends les gens qui veulent s’installer en maison. Mais il y a peut-être des pistes pour lâcher un peu la pression. Peut-être qu’en banlieue, on peut imaginer des piscines et des jardins collectifs, de l’auto-partage. Aujourd’hui, les gens s’enferment dans leurs maisons individuelles...

Que doit-on craindre de cette disparition des terres agricoles ?

Aujourd’hui en France, nous ne sommes déjà pas autosuffisants. On importe du bois, du soja, du caoutchouc, des produits tropicaux (thé, café, chocolat), des fruits et des légumes. En gros, on importe l’équivalent de 8 millions d’hectares et on exporte un peu moins de 7 millions. On est déficitaire à hauteur d’1,4 million d’ hectare. Or, la situation ne va pas s’améliorer. Nous sommes aujourd’hui 64 millions d’habitants, nous serons 70 millions en 2050. Et les gens sont de plus en plus gourmands. Ils veulent des maisons plus grandes : l’augmentation de surface par habitant et par an est d’environ 5m2. A priori ce n’est pas beaucoup, mais multiplié par 64 millions d’habitants...

Il va aussi falloir sortir du pétrole et du nucléaire en recourant à la biomasse, au photovoltaïque et à l’éolien. Or ces énergies demandent de la surface. Il va enfin falloir diviser les émissions de gaz à effet de serre par quatre tout en maintenant la biodiversité, les services écologiques et la qualité de l’eau. Tout cela forme une équation presque insoluble. Or, plus on va tarder à amorcer la transition, plus ça sera difficile. Si on ne résout pas le problème, il risque d’y avoir des guérillas, des conflits.

Quelle est la solution ?

Le mot-clé c’est la sobriété. Aujourd’hui l’agriculture française est une agriculture de viande et de lait. 82% de la surface cultivée sert directement ou indirectement à la production animale. Il faut revoir notre régime alimentaire et consommer moins de protéines. C’est l’enjeu de demain. Peut-être faut-il élever moins d’animaux mais des animaux de plus grande qualité. C’est le défi de demain. Si on ne change pas notre alimentation, l’agriculture ne changera pas.

- Un scénario pour 2050 par Philippe Pointereau