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De l’empathie dans l’ère
mercredi, 25 mai 2011 / Arnaud Gonzague

Une nouvelle conscience pour un monde en crise, de Jeremy Rifkin, Ed. Les liens qui libèrent, 656 p., 29 euros.

Pour comprendre ce livre, imaginez-vous assis dans le RER parisien, disons à la station Châtelet-les Halles en octobre. Quoi, c’est tristoune ? Pas de clichés, please ! Bien sûr, les gens font la gueule (air connu). Bien sûr, ils s’ignorent (re). Et pourtant, c’est un petit miracle culturel qui se déroule sous vos yeux. Des millions de personnes se croisent tous les jours, se côtoient sans se juger. Des Blancs, des Noirs, des bébés, des vieillards, des musulmans, des hindouistes, des travestis, des fascistes, des SDF, des journalistes de Terra eco et même une poignée de génies. D’innombrables nationalités, religions, langues et cultures brassées tranquillement entre deux stations. Non, ils ne se serrent pas dans les bras. Mais ils cohabitent en bonne intelligence, ont appris à se connaître, à s’apprécier (un peu), et surtout – ô sagesse – à se foutre la paix. Pas un hasard si, de tous temps, des « anormaux » (homos, femmes « libres », minorités…) ont fui le venin de la promiscuité villageoise pour l’anonyme bonheur citadin.

Pouvoir de nuisance

La mondialisation, c’est un peu ça, nous dit Jeremy Rifkin. Un grand Châtelet-les Halles où les gens ne se disent pas bonjour, d’accord, mais où ils fraient sereinement les uns avec les autres. Ce n’est certes pas l’empathie (le fait de se réjouir du bonheur éprouvé par les autres et de souffrir de leurs maux), mais c’est le vrai début du chemin qui y conduit.

Le titre français (cucul) de cet Empathic Civilization laisse croire à un constat béni-oui-oui du grand prospectiviste américain. Ce n’est pas le cas, même si son optimisme paraît suspect à un Européen.

L’auteur ne fait pas l’impasse sur un problème majeur. La cité cosmopolite a un pouvoir de nuisance immense comparé au village : elle dévore la planète. Et, selon Rifkin, elle ne survivra que grâce à l’avènement d’une « conscience biosphérique » – un gouvernement mondial, seul capable de sauver ce qui peut l’être. L’homme est-il assez responsable pour oublier sa nature égoïste, xénophobe et consommatrice et se relever les manches afin de préserver les écosystèmes ? Rifkin pense (et démontre) qu’il n’a, au cours de son histoire, fonctionné que de cette manière. Il appelle ça l’« empathisation », c’est-à-dire la civilisation.

Du paléolithique à Lady Di

Génial ? Excessivement euphorique ? Une chose est certaine : il faut lire cet opus magnum pour être en mesure de comprendre le monde qui nous attend. En gardant en tête qu’il a le défaut, très américain, de noyer sa démonstration dans une cascade d’érudition et de données attrapées partout et comme assemblées du coq à l’âne. On navigue de Lady Di à Saint Thomas, en passant par les chasseurs cueilleurs du paléolithique. Fatigant ! —