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Jacques Rocher, au nom des arbres
mercredi, 25 mai 2011
/ Emmanuelle Vibert
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Son père Yves est parti de rien. Lui non. Mais Jacques Rocher a trouvé sa voix et sa place dans le groupe familial en semant des graines partout dans le monde.
Il vous offre une graine d’Entada giga, un arbre de Madagascar. De couleur noire aux reflets acajou, elle est grande comme un galet. Un cadeau pour dire sa passion pour les arbres. Il se dit même « obsédé » par eux. Avec la Fondation Yves Rocher, qu’il préside depuis vingt ans, il s’est engagé à en planter 50 millions d’ici à 2014. Jacques Rocher est l’un des trois fils d’Yves. Hériter d’un empire industriel, c’est un fou d’arbres, qui ne renie pas ses racines.
Soit un Breton parti de rien à la fin des années 1950, dans son village de La Gacilly qu’il voulait sauver du désœuvrement. A sa mort en 2009, Yves Rocher lègue aux siens un groupe qui compte huit marques, 2 000 magasins et 15 000 salariés dans le monde. Bris, l’aîné des petits-enfants du fondateur, en a pris la tête. Et le clan est resté soudé autour des 80 % de parts de capital qu’il détient et des 1 800 millions d’euros que pesait leur fortune en 2010, selon le magazine Challenges.
De quoi faire tourner la tête d’un héritier ? « Notre Bretagne est une terre de labeur, de pauvreté. Mon père s’est construit avec ça. Et il a toujours fait en sorte qu’on ne se la pète pas ! » Pas besoin d’études dans cette famille d’autodidactes. Jacques commence sa carrière en travaillant deux ou trois ans avec son père. Puis il s’échappe : chef de produit ici, producteur de vidéos institutionnelles là… Pas pour tuer le père mais pour voir ailleurs – « Quand on travaille dans une entreprise familiale, on risque de penser que tout tourne autour de cet écosystème. » Et pour mieux renouer avec ses racines, revenir s’abriter sous l’arbre familial, en 1991, et y faire fructifier sa propre branche en prenant la direction de l’environnement et en créant la Fondation.
1991, c’est aussi l’année de son choc amazonien. Jacques Rocher passe alors plusieurs semaines au Brésil et en Guyane, avec une association qui agit auprès de communautés reculées vivant près du fleuve. « La nature, soit on la voit comme un concept, soit on plonge dedans. L’Amazone, ça vous explose la tête », dit-il de cette époque. L’année suivante lui offre en cadeau un autre choc. Jacques Rocher est invité au Sommet de la Terre à Rio pour parler de l’engagement du groupe. « Il y avait les Etats, mais aussi la société civile, avec des ONG, et des représentants d’entreprises, comme moi. C’était nouveau et enthousiasmant. Sous un chapiteau, j’ai vu plus de mille femmes réunies pour parler de leur rôle dans l’écologie. »
« Il a une vision écologique personnelle très forte, dit de lui son ami le photographe Pierre de Vallombreuse. Il utilise les moyens financiers à sa disposition et sa notoriété pour servir ses convictions. » Le groupe profite-t-il de l’action de la Fondation pour s’acheter une place au paradis vert ? Pas pour Jacques Rocher, qui sépare les genres.
D’un côté, il y a le groupe, « qui a pour objet de croître, tout en réduisant son impact. On y travaille chaque jour. On vient par exemple de remplacer le chauffage au gaz de l’usine de La Gacilly par un chauffage au bois, ce qui économise 1 000 tonnes de CO2 par an. » Qu’importe qu’elle ne produise que très peu de produits estampillés bio et que la « cosmétique végétale » d’Yves Rocher ne soit pas exempte de chimie. « Elle a un véritable intérêt et la cosmétique bio ne correspond pas aux attentes de toutes les femmes. »
Mais les arbres ne sont pas la seule manie de l’homme. Avec sa Fondation, il soutient aussi celles qui valorisent le végétal. Depuis dix ans, le prix Terre de femmes récompense des créatrices de jardin d’insertion en France ou d’une coopérative de femmes cultivant l’argan au Maroc. « J’étais obsédé par le fait de soutenir des anonymes dans un monde de “ peoplisation ”. Ce prix crédibilise l’action de ces femmes et dans certains pays comme la Russie, c’est vraiment utile. »
Jacques y a créé un Festival Photo Peuples et Nature en 2003 – oui, la photo est une autre des ses « obsessions » ! Il y a exposé notamment le travail de son ami Pierre de Vallombreuse sur les « Hommes racines », et la relation intime qui lie les peuples autochtones à leur environnement. Dans son village, Jacques Rocher a été élu à son tour maire (sans étiquette) en 2008. L’année suivante, il a fait construire avec sa femme un hôtel spa, La Grée des Landes, écolo de A à Z… Et à La Gacilly, dans son « village global », comme il l’appelle, l’arbre des Rocher continue de croître. Et ses racines de s’enfoncer dans le sol. —
1991 Prend la direction de l’environnement du groupe Yves Rocher et crée la Fondation Yves Rocher
1992 Participe au sommet de la Terre de Rio
2001 Crée le Prix Terre de Femmes
2007 Rencontre Wangari Maathai et s’engage à faire planter 1 million d’arbres
2008 Elu maire de La Gacilly (Morbihan)
2009 Ouverture de son éco-hôtel spa « La Grée des Landes »