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Immobilier : attention chutes de pierres
jeudi, 24 novembre 2005
/ Cire
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/ Aurelio Garcia
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Déjà quinze ans. Au début des années 1990, une grosse vague de spéculation a emporté les pays occidentaux. On construisait à tout va, les crédits pleuvaient. Et les agents immobiliers, petits et très gros, encaissaient à s’en démettre le poignet. A l’heure où l’on reparle de bulle immobilière, Terra Economica a pris le parti de vous replonger dans la presse de l’époque. Récit éclairant d’une folie collective.
"Immobilier : passeport pour la richesse". Cette couverture de L’Express publiée en mars 1990 semble autoriser les rêves les plus fous. En 20 ans, le prix du mètre carré dans le quartier des Halles à Paris a explosé de 3100%. On se surprend à fantasmer - soupir d’admiration et pointe d’envie - aux trajectoires exemplaires des nouveaux golden boys de l’immobilier.
Depuis cinq ans, les Christian Pellerin, alias le "maître de la défense", Pascal Jeandet, "l’ange blond" à l’ascension fulgurante et Michel Pelège, le "poulain" du Crédit Lyonnais, désormais passés dans l’anonymat, squattent les dos de kiosques dans la pose du winner. Version années fric sur fond de mitterrandisme finissant. Entre 1986 et 1990, les prix des logements grimpent entre 15 et 20% par an, les loyers eux aussi progressent de 6 à 8 points.
Un âge d’or pour les professionnels de la pierre et les propriétaires. L’euphorie se répand. Même le très sérieux Bureau d’information et de prévisions économiques s’y colle. En 1989, ses analyses prévoient une année 1992 "ma-gni-fique". Raté. 1992 se situera au "point bas" (comme disent les économistes) de la pire crise immobilière du XXème siècle. Brillante prophétie digne d’un Paul Samuelson, cet économiste nobellisé qui pronostiquait 20 ans de croissance à l’aube du choc pétrolier de 1973.
A la décharge des professionnels et des experts, "personne n’avait vu venir la crise, à part bien sûr les Cassandre professionnels qui finissent toujours par avoir raison à force d’annoncer le pire", ironise Marc Pigeon, président de la Fédération nationale des promoteurs constructeurs.
Avril 1991. La prise de conscience est en marche. Le mot crise est sur toutes les lèvres. Achetés à prix d’or quelques mois plus tôt, les immeubles restent sur les bras des marchands qui n’ont pas vu le vent tourner. C’est à qui se débarrassera de la patate chaude à moindre coût. Problème : malgré la fin tant attendue de la crise, puis de la guerre du Golfe, l’encéphalogramme des transactions reste désespérément plat. Les dégringolades les plus sévères sont localisées à Paris (moins 34% sur l’année, moins 70% au dernier trimestre) et dans les Hauts-de-Seine (moins 20% environ sur un an), les deux départements les plus riches de France et accessoirement les marchés naguère les plus spéculatifs. Alors, "pause ou crise ? Retournement ou régulation ? Durera, durera pas ?". Le marché du logement danse en équilibre "sur le fil du rasoir", comme l’écrit Le Monde dans son édition du 10 avril 1991.
Le nombre de prêts d’accession à la propriété (l’ancêtre du prêt à taux zéro) et de prêts conventionnés [1] s’effondre. Idem pour les mises en chantiers qui plongent de 339000 en 1989 à 256500 en 1993. Des chiffres que Roger Quilliot, ancien ministre socialiste du logement et président de l’Union nationale des HLM, résume d’une phrase : "en matière de logement, le marché, ça ne marche pas !" [2]. Les professionnels de l’immobilier lui emboîtent le pas et "réclament (...) une intervention vigoureuse du gouvernement", relate Le Monde (10 avril 1991). Sous la pression, celui-ci finit par s’exécuter. Des fonds sont réinjectés dans l’aide à l’accession à la propriété, amorçant à nouveau la pompe qui favorisera la sortie de crise à partir de 1994.
Juin 1991. Après le logement des particuliers, c’est l’immobilier d’entreprise qui est touché. Pour la première fois depuis six ans, signale le Cabinet Bourdais, le nombre de bureaux mis en chantier dans la région capitale se "tasse légèrement". Et ce n’est qu’un début...
Un exemple va marquer les esprits. Printemps 1990 : la vente de l’immeuble des Nouvelles messageries de la presse parisienne situ rue Réaumur tourne au rocambolesque. Le groupe Hachette, propriétaire du bâtiment, impose aux candidats des enchères en deux tours. Une quinzaine d’acquéreurs potentiels se présentent, parmi lesquels le chouchou des magazines Michel Pelège, qui compte bien ajouter ce diamant à une couronne déjà bien garnie. C’est pourtant Dominique Bouillon, pédégé de Champs Elysées promotion, qui emporte le morceau en posant 90 millions de francs supplémentaires sur la table.
La facture est ahurissante : 2,784 milliards de francs. A des "années lumière" du pactole envisagé au départ par Hachette ("à peine" 2 milliards). Le nouveau propriétaire, est, lui, certain d’avoir bouclé l’affaire de sa vie, et compte déjà revendre le joyau plus de 5 milliards. Trop tard. La vague spéculative reflue déjà. Criblé de dettes, Bouillon cède en février 1991 tout son patrimoine à Immobilière Satis, filiale de la Banque Indosuez, à laquelle il avait adossé son groupe. "Bouillon est en train de le boire", persiflent les envieux d’hier [3].
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