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Le cannabis peut-il sauver les terres de Fukushima ?
jeudi, 12 mai 2011 / Angela Bolis /

Journaliste

La rumeur a rapidement essaimé sur le net : et si le cannabis pouvait décontaminer les terres autour de Fukushima ? La « phytoremédiation » intéresse de près le CEA... et le Japon. Décryptage.

Le buzz

Après l’évocation, par le site de conseil et de vente aux producteurs de cannabis AlchimiaWeb, d’une expérience de dépollution des sols de Tchernobyl avec du chanvre, la toile a joyeusement relayé cette croustillante information. Libération.fr s’est ainsi demandé s’il « faut planter du cannabis autour de la centrale de Fukushima ? ». Cette plante est effectivement une hyper-accumulatrice, capable de stocker dans ses feuilles des éléments radioactifs, que l’on peut ainsi isoler et éliminer. En somme, on peut l’employer pour faire de la phytoremédiation.

Plant de cannabis. © Erissiva / Flickr

La phytoremédiation, c’est quoi ?

Expert en la matière, le chercheur Slavik Dushenkov de L’Institut mondial pour la bioexploration (GIBEX) définit la phytoremédiation comme « l’utilisation de plantes vertes pour retirer les polluants de l’environnement ou les rendre inoffensifs ». A en croire ses écrits, dans le domaine de la contamination nucléaire, ce champ « devrait bientôt devenir un secteur à part entière de la gestion de l’environnement et de la réduction des risques. Les autres méthodes de décontamination sont souvent destructrices pour l’environnement, alors que la phytoremédiation ne détruit pas les sols ni ne nuit à leur fertilité ».

En pratique, la phytoremédiation peut se dérouler de plusieurs manières :

Plante de moutarde indienne. © Masi Azmi / Flickr.

Champ de tournesol. © Julien_e / Flickr

La phytoremédiation, une solution ?

Après la catastrophe de Fukushima, l’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Bernard Bigot, a suggéré au Japon, parmi les technologies de dépollution en stock, celle de la phytoremédiation. La solution, loin d’être miraculeuse, est sérieusement envisagée. « Nous sommes prêts à collaborer avec des équipes japonaises pour intensifier les recherches dans ce domaine », affirme Eric Quemeneur, directeur des « Sciences du vivant » au CEA. D’après lui, le Japon - qui a intérêt à accélérer la remise en service de ses terres placées en quarantaine - pourrait bien se montrer intéressé : « A Tchernobyl, il n’y avait pas d’urgence à restaurer les sols, car il n’y avait pas d’enjeu maraîcher. Alors qu’autour de Fukushima, chaque mètre carré de terre agricole situé dans la zone d’exclusion est précieux. »

Pour le moment, le CEA ne peut proposer de « solution clés en main » : on ne connaît aucune plante capable d’extraire assez efficacement le césium... pas même le cannabis. Dans le clan des hyper-accumulatrices, le tournesol arrive en bonne place, après la moutarde indienne et le colza. Ce dernier, plus sec, se transforme en une biomasse plus facile à exploiter que celle du chanvre. Enfin, tout dépend de la nature du sol : le cannabis, qui aime les sols calcaires comme à Tchernobyl, ne s’adapterait pas forcément bien aux terres japonaises.

Le colza est une hyper-accumulatrice efficace. © Lucryso/Flickr

Faute de plantes connues efficaces, deux pistes de recherche s’ouvrent : créer des plantes OGM plus performantes pour extraire le césium 137 et autres radionucléides, ou continuer à fouiller dans la biodiversité existante. La première solution est envisagée au CEA. Quant à la seconde, elle fait l’objet de recherches intensives, notamment par l’équipe de Jacques Bourguignon, chercheur au CEA : selon lui, une algue, récemment isolée dans des piscines de réacteurs nucléaires, aurait la faculté d’incorporer des quantités très importantes de métaux et de radionucléides et de résister aux radiations ionisantes. Affaire à suivre...

Les pour et les contre

Bon point de la phytoremédiation : cette méthode est moins destructrice pour les écosystèmes, déjà bien attaqués par la radioactivité, que d’autres technologies de décontamination chimiques. Les plantes peuvent être implantées rapidement et facilement, sans besoin de matériel ou de personnel spécialisé. Par ailleurs, elles ont l’avantage de diminuer l’érosion du sol par le vent, d’empêcher les particules radioactives de s’envoler, et de limiter leur propagation dans les eaux souterraines.

L’amaranthe (à gauche, ©Daveeza/Flickr) et la quinoa (à droite, ©net_efekt/Flickr) ont la propriété d’accumuler des radionucléides.

Toutefois, mieux vaut ne pas être trop impatient. Car les plantes hyper-accumulatrices ont la fâcheuse particularité de croître lentement, et de produire une faible biomasse, relève Michel Mench, chercheur à l’Inra. Il faut donc compter quelques décennies avant que ces plantes aient achevé leur travail de décontamination. Autre inconvénient, les végétaux ne dépolluent que la zone accessible à leurs racines. Et bien souvent, elles ne captent qu’un seul élément, donc sont peu appropriées dans le cas d’une multi-pollution.

Enfin, une question demeure : que faire des feuilles gorgées de radioactivité une fois qu’elles sont récoltées ? Outre l’incinération et la vitrification, Michel Mench suggère le compostage, qui permet de récupérer les éléments radioactifs dans les résidus liquides ou solides. Mais ensuite, que faire de ces résidus... C’est ici le problème des déchets radioactifs qui, au bout de la chaîne de dépollution, se pose encore et toujours.


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