https://www.terraeco.net/spip.php?article17078
|
« On dit que la sécurité nucléaire n’a pas de prix. Ce n’est pas vrai »
lundi, 25 avril 2011
/ Walter Bouvais / Cofondateur et directeur de la publication du magazine Terra eco et du quotidien électronique Terraeco.net Suivez-moi sur twitter : @dobelioubi Mon blog Media Circus : Tant que dureront les médias jetables , / Karine Le Loët /Rédactrice en chef à « Terra eco ». |
Bertrand Barré et Bernard Laponche ont tous deux travaillé au Commissariat à l’énergie atomique. Mais sur les chiffres de Fukushima comme sur nos options énergétiques, ils divergent. Confrontation.
Terra eco : Peut-on chiffrer le coût précis de Fukushima ?
Bertrand Barré : C’est prématuré. L’accident est encore en cours. Et il sera difficile de faire la part des choses entre l’accident nucléaire et le tsunami.
Bernard Laponche : Il y a le coût de la perte de quatre réacteurs. Et au minimum, c’est dix milliards d’euros pour nettoyer le site. S’y ajoute la perte de production électrique. Et puis surtout, il y a l’état de la zone extérieure, contaminée, ce qui n’était pas le cas à Three Mile Island. Mais à mon avis, le plus grave, c’est la contamination de la mer.
B.L. : Quand il y a une marée noire, un procès a lieu et désigne un responsable, qui n’est pas la collectivité. Si les compagnies qui exploitent les centrales nucléaires étaient financièrement responsables, il y aurait beaucoup moins de centrales, car elles ne prendraient pas ce risque. Or, que se passe-t-il ? On reporte sur la collectivité la responsabilité d’un accident qui est lié à une certaine technique et à une certaine entreprise. C’est anormal.
B.L. : C’est justement là que notre système coince. Ces sociétés prennent la responsabilité de construire des centrales à certains endroits. Elles affirment qu’elles les pilotent avec le maximum de sûreté, mais ne prennent pas la pleine responsabilité de ce qui peut se passer. De fait, lorsque vous discutez avec des compagnies d’assurance, elles disent qu’elles ne sont pas prêtes à couvrir le risque d’accident nucléaire. On dit que la sûreté n’a pas de prix. Ce n’est pas vrai.
B.L. : Une technique qui produit des déchets radioactifs dont on ne sait que faire ne peut pas être considérée sans impact grave sur l’environnement. Le fait d’émettre peu de CO2 n’est pas le seul critère de la « durabilité ». La sûreté et le risque d’accidents de type Fukushima sont un autre critère…
B.B. : C’est vrai.
B.L. : Le nucléaire est meilleur que les fossiles pour ce qui concerne l’impact sur le changement climatique. Mais les énergies renouvelables non plus n’émettent pas de CO2. Or, elles ne produisent pas non plus de déchets et n’engendrent pas d’accidents de la gravité de Fukushima. Dans le monde, 13 % de l’électricité est d’origine nucléaire, 19 % d’origine renouvelable, incluant l’hydraulique. Nous avons donc le choix. On ne peut absolument pas considérer le nucléaire comme « durable ».
B.L. : D’abord, on sait que le nucléaire fait gagner au maximum 20 % sur les émissions de gaz à effet de serre de la France. Ensuite, l’Agence internationale de l’énergie dit que pour réduire nos émissions, la moitié de l’effort est lié à nos économies d’énergie. Selon moi, la priorité des priorités est là.
B.B. : C’est un de nos points d’accord.
B.L. : Il faut donc mettre le paquet là-dessus. Une fois les économies d’énergie réalisées, on a plus de marge de manœuvre pour développer les renouvelables. Revenons à Fukushima : que peut-on dire du bilan en termes sanitaires ?
B.B. : L’évacuation a été lancée à temps. Les dégâts dus aux radiations seront négligeables pour les populations. Mais il y a les conséquences de l’évacuation. Après Tchernobyl, 240 000 personnes sont arrivées dans des villages où elles étaient considérés comme des pestiférés. Ces traumatismes font partie des conséquences sanitaires. 750 à 800 personnes sont intervenues sur la centrale de Fukushima. Leur dose limite a été remontée à 250 millisieverts. Jusqu’à 100, on ne voit rien. Monter à 250, c’est accepter un risque. Ces équipes de Tepco, ces militaires, ces pompiers devront rester sous surveillance. Ils ont pris des doses, mais pas monstrueuses. A Tokyo, pour l’instant et en l’état, il n’y a pas de conséquences sanitaires.
B.L. : Je serais d’une grande prudence sur les déclarations des autorités japonaises…
B.L. : Oui, mais il faudra regarder les problèmes de contamination des terrains, des légumes, de l’eau.
B.B. : On sait qu’il y aura plusieurs saisons condamnées pour les récoltes dans certaines zones.
B.L. : Le problème du nucléaire est qu’il s’agit d’une technologie complexe, qu’on ne peut pas totalement maîtriser. A chaque fois, on ajoute des éléments : une, puis deux enceintes de confinement. Je vous fiche mon billet que s’il y a, même sur un EPR, une rupture totale d’alimentation électrique, alors le cœur fondra. Cela fait trente ans que j’entends : « Le coup d’après, on va faire mieux ». Et pourtant, quinze jours avant Fukushima, on a eu en France des incidents sur des diesels de secours dans plusieurs centrales.
B.L. : Dans le cas de l’EPR, la décision a eu lieu avant le débat. Là-haut, ils n’en ont rien à faire de nos débats. Maintenant, il faut dire les choses. Si les vents avaient été défavorables, Tokyo aurait été touché. Je ne pose même pas la question sanitaire mais de l’évacuation d’une ville de 35 millions d’habitants. Et à Paris ? S’il y a un incident à Nogent-sur-Seine (Aube, ndlr) et qu’on dit aux gens de ne pas aller chercher leurs enfants à l’école, que se passera-t-il ? Ils iront ! Et moi, j’attends toujours le plan d’évacuation de Paris. —
JPEG - 6.1 ko 180 x 120 pixels |
JPEG - 6.8 ko 180 x 120 pixels |