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« L’homme est capable de réparer ses propres dégâts »
lundi, 25 avril 2011 / Arnaud Gonzague

Sus au fatalisme ! Dans son dernier ouvrage, l’économiste Eloi Laurent démonte les rouages qui lient progrès social, démocratique et technologique à une meilleure protection de l’environnement. Une analyse inspirée pour recommencer à espérer.

En voilà un, au moins, qu’on ne taxera pas de catastrophisme ! Dans Social-Ecologie, l’économiste Eloi Laurent imagine un programme de société démocratique, socialement juste et écologiquement responsable – l’un ne va pas sans les deux autres. Et il y croit. Un menu plutôt alléchant, capable en tout cas de tailler en pièces son ennemi intime, l’« écolo-fatalisme ».

Terra eco : Le blog Econoclaste avait taxé votre précédent ouvrage d’ « économie Bisounours ». Dans « Social-Ecologie », vous ne reniez pas cet optimisme…

Eloi Laurent : Je ne me sens pas particulièrement optimiste. Simplement, je suis parti de ce paradoxe : on entend dire que les humains sont responsables des crises écologiques qui s’aggravent. Ce qui est vrai. Mais on entend aussi qu’ils sont incapables de les résoudre. Alors, nous aurions le pouvoir de provoquer des catastrophes mais pas de les réparer ? Je n’y crois pas. L’homme domine la planète comme aucune espèce ne l’a dominée et il est capable de réparer ses propres dégâts.

A voir les catastrophes naturelles qui ont frappé le Japon ces dernières semaines, on se dit que l’homme ne « domine » pas grand-chose.

Pardon, mais c’est faux ! Comparons la situation actuelle à celle du séisme de 1923 qui avait tué 150 000 citoyens et réduit Tokyo à l’état de ruines. Depuis 1923, le Japon a connu 190 séismes d’une magnitude supérieure à 6. Lesquels ont fait 30 000 morts. Oui, cinq fois moins de personnes tuées. Et le séisme de mars dernier, de magnitude 9, n’a fait « que » 50 victimes. Bien sûr, c’est toujours une situation dramatique mais incomparable avec celle de 1923. Pourquoi ? Parce qu’entre-temps, le Japon a progressé sur le plan technologique, social et démocratique. Ces trois facteurs lui ont permis de se protéger de manière efficace contre les séismes.

Réduire les inégalités sociales et faire avancer la démocratie permettent donc une meilleure protection de l’environnement ?

J’en suis convaincu et c’est ce que je défends dans mon ouvrage. Regardez la situation en Haïti, un pays inégalitaire et non démocratique : le séisme de l’année dernière a coûté la vie à au moins 200 000 personnes alors qu’il était d’une magnitude bien inférieure au japonais ! Et le constat est le même pour les tsunamis. Oui, le tsunami japonais de cette année a fait entre 10 000 et 15 000 morts, ce qui est énorme. Mais comparons-le avec celui de 2004 : rien qu’en Indonésie, ce sont 150 000 personnes qui ont été englouties. Dix fois plus ! Pas de hasard : c’est là encore un pays inégalitaire et peu démocratique. Rien n’y a été fait pour protéger les citoyens. Ce n’est pas le cas au Japon.

Justement, au Japon, cette démocratie ne paraît pas « dominer » beaucoup le nucléaire.

Certes, mais précisément parce qu’il y a eu un énorme déficit démocratique sur cette question. Tepco, l’exploitant de la centrale, a caché des rapports alarmants et commis des erreurs hallucinantes. Tout s’est déroulé dans un climat d’opacité antidémocratique. Mais regardez ce qui se passe : nous sommes tous, les Japonais et nous, en train d’apprendre ce que coûte l’opacité. Nous ne nous ferons plus avoir. La leçon de Fukushima sera retenue.

Vous avancez, dans votre livre, que les inégalités démocratiques et sociales engendrent une dégradation de l’environnement. Sauf que le changement climatique est de notre fait, nous, démocrates égalitaristes.

Eh bien, non. Avec les pays du Sud, nous ne sommes ni démocrates, ni égalitaristes et c’est là que le bât blesse ! Depuis le début de la Révolution industrielle, l’Occident est responsable de 77 % des émissions de gaz à effet de serre. Mais comme les pays les plus inégalitaires sont les plus vulnérables aux catastrophes écologiques, l’Occident n’a pas eu à payer les pots cassés. Autrement dit, il a délégué les conséquences de son développement aux pays pauvres, sans leur demander leur avis. Maintenant, imaginez que ces pays soient investis d’un vrai pouvoir de nous réclamer des comptes, une démocratie mondiale, en somme. Ils exigeraient que nous agissions. Et s’ils avaient ce pouvoir, nous trouverions des moyens, et rapidement ! Croyez bien que si une usine de déchets empoisonnait le XVIe arrondissement de Paris, la France aurait déjà résolu le problème.

Mais la démocratie internationale n’existe pas, et un milliard et demi de Chinois aspirent à rouler dans une voiture à essence. Que fait-on ?

Il faut accélérer la diffusion des technologies vertes, la voiture électrique par exemple, et les énergies renouvelables. La Chine n’est pas un modèle mais elle utilise aujourd’hui des technologies infiniment moins polluantes que les nôtres il y a cinquante ans. Pourquoi reproduirions-nous deux fois les mêmes erreurs ? La caractéristique des démocraties, c’est justement de corriger le tir : 1,5 milliard de voitures à essence chinoises, personne sur Terre n’y survivrait. Donc cela ne se fera pas. —

Eloi Laurent

Economiste et conseiller scientifique à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), il enseigne au MPA de Sciences-po, à l’université de Stanford aux Etats-Unis et au Collège des hautes études européennes. Il est l’auteur de « La nouvelle écologie politique », avec Jean-Paul Fitoussi, et dernièrement de Social-Ecologie.

1974 Naissance

1999 Attaché parlementaire à l’Assemblée nationale

2000 Devient collaborateur au cabinet du Premier ministre, Lionel Jospin

2007 Codirige, avec Jean-Paul Fitoussi, France 2012 : E-book de campagne à l’usage des citoyens

2008 Co-écrit, avec Jean-Paul Fitoussi, La nouvelle écologie politique(Seuil)

2011 Publie Social-Ecologie (Flammarion)