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Déjà la sécheresse en France ?
samedi, 23 avril 2011 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Des températures exceptionnellement douces et l’absence de pluies ces dernières semaines : un cocktail détonnant, qui laisse les réserves d’eau à sec et malmène les futures récoltes agricoles.

« La terre est sèche, morcelée, comme en août ! Du coup les plantes font forcément la tête », constate Julien Marre, agriculteur en grandes cultures dans l’Eure. « Cela se remarque en terres légères, qui retiennent en général peu l’eau, mais également en terres profondes, qui ont normalement plus de réserves : les végétaux jaunissent même ici. » La cause de ces stigmates ? Des températures printanières exceptionnellement douces et des réserves d’eau affichant des niveaux dramatiquement bas.

Plus de la moitié des réservoirs sous la normale

A ce sujet, le verdict du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), rendu début avril, est sans appel : 58 % des réservoirs affichent un niveau inférieur à la normale. Parmi les « assoiffées » : les nappes de Beauce, du Lutétien et du Champigny, en Ile-de-France, ou celles du bassin de la Garonne en Midi-Pyrénées. « Les précipitations d’automne et d’hiver n’ont tout simplement pas été assez suffisantes pour recharger les nappes phréatiques, constate Ariane Blum, hydrogéologue au service eau du BRGM. Dans le bassin de Paris, on observe même un déficit de pluies depuis cinq ans ! Du coup, on ne rattrape jamais le retard. »

Et s’il pleuvait demain ? « Ça ne changerait rien, rétorque la spécialiste. Il faudrait plusieurs hivers humides pour que les niveaux reviennent à la normale. » Sans compter que les sols font en général les délicats quant aux moments propices pour recevoir les précipitations. Qu’une goutte de pluie tombe entre octobre et mars, et elle rejoindra tranquillement les nappes phréatiques et les rechargera. Mais qu’elle tombe entre avril et septembre, et les eaux profondes n’en verront pas la couleur : la végétation florissante l’absorbera immédiatement. Cette année, les dés sont donc jetés : les réserves d’eau attaqueront l’été avec un sérieux déficit sur leur niveau normal.

Anecdotique, ce coup de chaud d’avril ? Pas vraiment : l’Hexagone a même rarement eu aussi soif et chaud à cette période de l’année de mémoire de météorologue. « Cela s’est produit en 1976. Le début d’année avait aussi été très sec mais les températures étaient moins élevées qu’actuellement, donc la situation était moins inquiétante. Et en 1997, les sols avaient été asséchés encore plus précocement qu’aujourd’hui. Mais dans les deux cas, des pluies en mai et juin avaient rétabli une situation satisfaisante. Que se passera-t-il cette fois-ci ? Nos prévisions saisonnières ne privilégient aucun scénario en particulier », explique Michel Schneider, ingénieur à la direction de la climatologie de Météo France.

Une chose est sûre : de telles conditions tombent plutôt mal à cette période de l’année. « Le mois de mai, c’est là que les épis montent dans la tige, là que se font les feuilles. Or ce sont elles qui vont par la suite permettre de nourrir les grains. S’il n’y a pas suffisamment de feuilles, et que les grains sont mal nourris, ils vont tout simplement avorter. Tout le potentiel de la biomasse se forme actuellement, explique Julien Marre, l’agriculteur. Bien sûr que je suis inquiet, car les prévisions météo ne promettent pas d’eau prochainement. »

Restrictions départementales et comité sécheresse

Pour freiner le déclin du niveau des réservoirs d’eau de l’Hexagone, huit départements viennent de tomber sous le coup d’arrêtés préfectoraux limitant l’usage de l’eau. Les plus touchés : la Seine-et-Marne, l’Essonne et le Val-de-Marne, sont même placés en niveau d’alerte 3 - soit le plus élevé -qui impose des restrictions maximales, notamment pour l’irrigation agricole. Les Deux-Sèvres et la Charente-Maritime (niveau 2) devront quant à eux réduire de moitié les prélèvements, tandis que le Cher, la Charente et la Vienne n’ont été élevés qu’au niveau le plus faible.

Et la ministre de l’Ecologie, Nathalie Kosciusko-Morizet, d’annoncer jeudi sur Europe 1 que le « comité sécheresse » se réunira dès la mi-mai. « Celui-ci a été mis en place depuis 2004 et se réunit suivant les besoins, notamment avant et après l’été, pour faire le point sur la situation des nappes et du débit des cours d’eau », précise Claire Grisez, sous-directrice de la protection et de la gestion des ressources en eau et minérales au ministère. Parmi ses membres, les directions de l’environnement, de l’agriculture, de la santé ou du tourisme, ainsi que des représentants des acteurs locaux et des usagers. Son but ? « Avoir une vue d’ensemble et partagée sur la situation en France, qui varie fortement d’une région à une autre », explique Claire Grisez. Des discussions également utiles pour alimenter le futur Plan national d’adaptation au changement climatique, qui sera lancé en juin et dans lequel le secteur de l’eau, et les économies qui le concerne, aura plus que jamais sa place.