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« La technologie peut donner un coup de pouce à la nature »
lundi, 18 avril 2011 / Volodia Opritchnik /

Rédacteur en chef de L’Usine à GES

Patron du programme international d’observation spatial GEO, le physicien José Achache milite pour une utilisation raisonnable de la géo-ingénierie qui peut, selon lui, servir à combattre les conséquences du changement climatique.

L’Usine à GES : Des scientifiques et des entreprises prétendent combattre le changement climatique par des solutions technologiques. On parle d’injecter des sulfates pour refroidir l’atmosphère, de blanchir les nuages pour accroître l’albédo, voire de repeindre les villes en blanc. Cette géo-ingénierie, comme on l’appelle déjà, est-elle sérieuse ?

José Achache [1] : Pour l’instant, ces propositions de géo-ingénierie ne sont que des idées. Et elles le resteront aussi longtemps qu’elles n’auront pas été testées et que leur efficacité et leurs dégâts collatéraux éventuels n’auront pas été évalués. Cela étant, il faut être extrêmement prudent. Car l’atmosphère est un jeu de systèmes chaotiques et il est illusoire de penser pouvoir modéliser tous les effets induits d’une injection de sulfates ou d’une brumisation d’eau de mer dans les nuages océaniques.

Donc, on évite de se lancer dans cette aventure technologique ?

Je ne serais pas si radical. L’enjeu climatique est tel que je pense que l’on peut tout tester à petite échelle, dans des laboratoires, avant de prendre des décisions définitives. Cela dit, a priori, ces solutions ne m’enchantent guère. Je préfère, à la limite, installer un miroir géant à un des points de Lagrange pour qu’il réfléchisse une partie du rayonnement solaire. Cela permettrait de refroidir le climat terrestre sans pour autant modifier la chimie de l’atmosphère. Et si cela ne marche pas, on pourrait toujours le retirer. S’assurer de la réversibilité des solutions proposées est absolument essentiel.

Mais cela n’inquiète pas le scientifique que vous êtes de voir certains de vos confrères proposer des solutions aux changements climatiques dont les conséquences pourraient être catastrophiques ?

Bien sûr. Mais soyons honnêtes, aucune de ces propositions, de ces idées, n’a encore été mise en œuvre. Et il faut s’attendre à ce que ce genre de situation attire les farfelus. Mais, plus ces idées seront délirantes, plus leur sélection sera aisée. La question aujourd’hui est : comment évaluer et expérimenter les propositions qui semblent raisonnables ?

On peut donc remiser, pour le moment, la géo-ingénierie au placard ?

Je ne dirais pas cela. Au-delà de ces concepts, somme toute assez théoriques, il y a ce que j’appelle la géo-ingénierie positive, dont on aura du mal à se passer.

C’est-à-dire ?

Jusqu’à présent, dans notre façon de gérer la nature, nous nous sommes comportés comme les chasseurs-cueilleurs. Je ne parle pas ici des ressources naturelles mais des services rendus par la nature : l’eau, l’air ou les sols. Nous exploitons ce qui est disponible et une fois que la ressource est épuisée ou hors d’usage, nous allons ailleurs et recommençons. Cela n’est pas tenable. Surtout si, comme les démographes nous le disent, la population mondiale croît de près de 50 % au cours des quarante prochaines années.

Dans cette optique, que proposez-vous ?

Il faut d’abord, là où la nature a été dégradée, utiliser notre savoir pour restaurer la capacité des écosystèmes à rendre les services naturels qu’ils ont toujours rendus. On l’a déjà fait pour l’eau, à New York et dans les Vosges par exemple. Ensuite, et c’est là le plus intéressant, il faut utiliser la technologie pour donner « un coup de pouce » à la nature.

Exemple ?

Dans la problématique climatique qui nous occupe et face à une crise alimentaire chronique qui nous menace, nous devons recréer des sols vivants grâce auxquels nous pourrons relancer des cultures là où cela était impossible auparavant. Nous pouvons aussi stimuler la production d’eau.

En saupoudrant les nuages d’iodure d’argent ?

Pas du tout. Mais par exemple, en mettant en place des systèmes de pompage-turbinage de grande ampleur, qui remonteront l’eau vers l’amont, à terme, jusqu’aux massifs montagneux, « à la source » et en laissant aux cours d’eau le soin d’assurer la distribution en aval. Par ailleurs, accroître les rendements agricoles n’est pas forcément synonyme de pollution, de salinisation et d’appauvrissement des sols.

Il va tout de même falloir traiter l’eau…

Ce n’est qu’un problème d’énergie. Et sans forcément avoir recours à de coûteuses et énergivores installations de traitement, certaines compagnies assainissent l’eau simplement en la réinjectant dans le sol et en laissant faire minéraux et micro-organismes.

On en revient à un problème directement lié au changement climatique : l’énergie. Aussi séduisante soit-elle, la géo-ingénierie positive consomme de l’énergie, pour pomper l’eau ou recréer des sols…

Absolument, mais avec les énergies renouvelables, d’ici à une cinquantaine d’années, le coût de production de l’énergie aura beaucoup baissé et cette énergie sera totalement décarbonée. En tout cas, tous les gouvernements parient aujourd’hui sur cette évolution.

Les militaires essaient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale de modifier le climat. Sans réel succès. Cela ne remet-il pas en cause votre vision de la géo-ingénierie positive ?

Pas du tout. Car toutes ces recherches ont été faites secrètement. Et forcément, elles ont mobilisé peu de moyens intellectuels et même économiques. Dès que ces recherches seront reprises de façon ouverte et transparente, en y mettant des moyens et une gouvernance adéquats, je pense que l’on obtiendra les résultats après lesquels les militaires américains, soviétiques ou chinois courent toujours. N’oublions jamais que toutes les grandes découvertes du XXe siècle ont été le fruit de recherches publiques financées par les budgets de défense (américaines à 90 %) : informatique, électronique, matériaux, internet, GPS…

À supposer que vous ayez raison, modifier le climat et donc les conditions climatiques régionales posera des questions de droit, d’éthique, de morale…

Immanquablement. Et des questions juridiques, notamment là où les transformations toucheront des zones frontalières.

Ne craignez-vous pas qu’un grand pays qui serait touché par une sécheresse, des ouragans, des inondations pourrait, seul, décider de mettre en œuvre des solutions géo-ingénieristes sans se soucier du reste du monde ?

Techniquement, économiquement, la Chine ou les États-Unis pourraient le faire. Mais, compte tenu de la taille de leur pays, leurs gouvernements réfléchiront à deux fois avant de se lancer dans de grandes transformations. Tout simplement parce qu’ils pourraient être les premières victimes des dérèglements provoqués par leurs expériences. Si l’on modifie le climat, cela aura des effets de très grande échelle, voire sur toute la surface de la planète.

Dans son prochain rapport d’évaluation, le Giec va consacrer un chapitre à la géo-ingénierie. Est-ce une bonne chose ?

Oui et non. Oui, parce que cela mettra les cartes sur la table et permettra sans doute d’ouvrir un débat dont l’ouverture a été trop longtemps retardée. Non, parce que le Giec, dans ses rapports, doit faire une revue de la littérature scientifique. Or, aujourd’hui, il n’y en a pratiquement pas sur ce sujet. Donc, le Giec risque de devoir se transformer en producteur de connaissance. Et cela n’est pas son rôle.

Propos recueillis par Volodia Opritchnik. Article initialement été publié le 30 mars 2011 dans L’Usine à GES, la lettre des professionnels du changement climatique.


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