https://www.terraeco.net/spip.php?article16745
Le Japon n’a pas fini de régler la facture
jeudi, 7 avril 2011 / Stéphane Hallegatte /

Economiste de l’environnement au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired) et Météo-France.

Avec le séisme, c’est la capacité du Japon à préparer son avenir qui a été affectée. Et ce ne sont pas les prévisions des économistes sur l’état du PIB qui permettront de mesurer l’ampleur des conséquences.

On ne connaît pas encore l’ampleur réelle des destructions causées par le séisme du 11 mars au Japon. Le montant des dommages a été estimé par la Banque mondiale entre 120 et 240 milliards de dollars (85 à 170 milliards d’euros), mais sans tenir compte des conséquences de l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima, ni des interruptions d’activité dues au terrible bilan humain, aux coupures de courant, aux ruptures des chaînes d’approvisionnement.

Pourtant, de nombreux experts se sont déjà exprimés sur les conséquences économiques de cette catastrophe. Leurs analyses se résument à envisager une récession d’un ou deux trimestres, suivi d’un rebond du PIB, qui devrait revenir rapidement à son niveau d’avant la crise grâce aux dépenses de reconstruction. Leurs conclusions sur l’aspect économique de l’événement sont donc plutôt optimistes, suggérant que le choc économique restera mineur. Il s’agit là malheureusement d’une vision biaisée de la situation, liée à un usage inapproprié du PIB comme unique indicateur économique.

Il est en effet probable que le PIB japonais pourra rebondir après quelques trimestres, et que les dépenses de reconstruction produiront un effet de relance économique. Mais la capacité de production des secteurs impliqués dans la reconstruction n’est pas infinie : même si tous les moyens de production n’étaient pas utilisés avant l’événement, le nombre de travailleurs qualifiés, d’équipement pour la construction, et les capacités de produire les matériaux de base (ciment, acier, etc.) ne seront pas suffisants pour faire face à cette gigantesque demande de reconstruction. En conséquence, de nombreux autres projets devront être abandonnés, ou au moins reportés, pour se concentrer sur la reconstruction. Pour réparer les routes et les voies de chemin de fer, c’est l’entretien du reste du réseau et la création de nouvelles connexions qui devront être négligés. Pour reconstruire les bâtiments, les maisons et les usines, c’est la construction de nouvelles habitations et usines qui devra être abandonnée. La reconstruction exercera donc un prélèvement sur la production nationale, forçant à réduire la consommation finale des ménages et l’investissement des entreprises. Lorsque le PIB sera revenu à la normale et la reconstruction effectuée, il restera donc l’impact de tous ces autres investissements qui n’auront pas été réalisés. Par ce biais, les conséquences économiques négatives de cette catastrophe se feront sentir pendant au moins une décennie. C’est la capacité du Japon à préparer son avenir qui a été durablement touchée par le séisme.

Ce n’est pas la seule limite d’une analyse centrée sur le PIB. Les conséquences de la catastrophe sont extrêmement hétérogènes, et les agréger dans un indicateur national masque l’impact économique réel. Plus de 12 millions de personnes, soit 10% de la population du Japon, ont été affectés. Plus de 300 000 personnes ont perdu leur logement, et plus de 20 000 personnes ont perdu la vie. Il est certain qu’après le retour du PIB à son niveau normal, plusieurs centaines de milliers de personnes auront perdu leurs moyens de subsistance et auront besoin d’une aide économique. Pour le Japon, l’impact économique du séisme est donc du même ordre que celui de la crise financière dont nous essayons actuellement de sortir. De la même façon que le PIB des pays occidentaux revient en ce moment à son niveau d’avant crise, mais en laissant des taux de chômage bien plus élevés, le retour du PIB Japonais à son niveau d’avant le séisme ne signifie pas que l’impact sur ces millions de personnes affectées aura disparu. Il faudra donc que le Japon mette en place des politiques spécifiques pour aider au redémarrage de la région, et pour aider les personnes touchées à reprendre – autant que possible – le cours de leur vie. Ici encore, mesurer les conséquences économiques en termes de PIB national uniquement peut conduire à une sérieuse sous-estimation de l’ampleur du désastre. Il faut donc s’attendre à des effets durables de cette catastrophe, au Japon et à l’international, et à ce que le pays se concentre sur ses problèmes internes pendant plusieurs années.

Au-delà du cas japonais, cela montre aussi que les travaux récents sur les indicateurs économiques, dont ceux de la commission Sen-Stiglitz-Fitoussi, n’ont pas encore été largement repris par la communauté des économistes, qui continue de se concentrer sur le PIB. Il est pourtant admis aujourd’hui qu’il est indispensable de s’intéresser à la consommation plutôt qu’à la production économique, et que des indicateurs des effets distributifs – comme le nombre de pauvres ou la dispersion des revenus – doivent être utilisés en plus des indicateurs agrégés. Pour cette catastrophe naturelle, comme pour une crise économique ou l’évaluation des politiques publiques, il apparaît urgent d’élargir la palette de nos indicateurs économiques.