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« On n’aura pas une alimentation à la fois saine, diversifiée, de qualité et pas chère »
dimanche, 27 mars 2011
/ Emmanuelle Vibert
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A quoi ressemblera l’assiette du futur ? Que du bio ? Des OGM à gogo ? Réponses du patron de la FNSEA Xavier Beulin et de l’agronome Marc Dufumier.
Terra eco : Au-delà des effets de mode, l’alimentation bio peine à décoller. A-t-elle un avenir ?
Xavier Beulin Il y a les objectifs du Grenelle, un dispositif national, des mesures européennes pour aider aux conversions et à la production bio. Et puis, un soutien indirect via la restauration collective. Tout cela incite beaucoup d’agriculteurs à tenter la conversion ou à se lancer en bio. Il faudra mesurer dans le temps ce que ça donne. Mais cela suppose que les consommateurs acceptent de consacrer plus d’argent à se nourrir. La part de l’alimentation dans les budgets était de 16 % en 2000. Elle est de 11 % aujourd’hui, malgré la hausse du pouvoir d’achat. C’est un point fondamental pour le bio comme pour le conventionnel. On a atteint un seuil difficilement compressible. On ne peut pas avoir une alimentation à la fois saine, diversifiée, de qualité et pas chère.
Marc Dufumier Oui, le bio restera plus cher que le conventionnel. Et pour le rendre accessible aux plus modestes, il faut une politique de redistribution des revenus. Tout est lié. Et oui aussi, le bio va prendre de plus en plus de place. Mais il pourra sortir de son marché de niche uniquement si les pouvoirs publics l’encouragent davantage. Or il y a urgence à mettre en place des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. Il nous faut revoir la copie pour parvenir au zéro « agrotoxique ». Y aller de façon décisive et massive et sortir le bio de la marge. Une solution pourrait être de transférer les subventions en faveur du bio vers la restauration collective. L’idée étant que les cantines achèteraient en masse, et à un prix juste pour les paysans, des produits bio de qualité et de proximité. Les circuits de distribution atteindraient une taille critique, économiquement viable, un marché stable et rémunérateur s’installerait. Aujourd’hui, quand les grandes surfaces veulent se ravitailler en bio, elles vont à l’étranger, en Autriche, en Allemagne, en Italie, des pays où les circuits de distribution ont atteint cette taille critique.
M.D. Surtout pas de système à deux vitesses ! Il nous faut un seul bio et il doit être intensif. Pas en produits chimiques, mais en plantes capables de prendre l’azote de l’air, en coccinelles, en abeilles, en utilisation de ressources naturelles renouvelables et inépuisables. Il faut reconstituer l’humus des sols, planter des haies pour éviter les vents desséchants. On peut produire beaucoup à l’hectare avec des techniques artisanales. Le mot intensif n’est pas opposable au mot paysan. En revanche, notez que l’agriculture moto-mécanisée et chimique est une agriculture très extensive.
M.D. L’Inra affirme qu’on peut réduire de 30 % les pesticides en 2018 en modifiant les pratiques à la marge (1). Mais les réduire de 50 % ne sera possible qu’à condition de refondre totalement notre système de production. Il y a des démarches de production raisonnées intelligentes, mais elles butent sur une limite : nos systèmes sont trop spécialisés et trop courts. Il faut réassocier agriculture et élevage. La refonte, c’est quelque chose de savant et d’artisanal à la fois.
M.D. Ces OGM première génération ont un intérêt immédiat : ils permettent d’utiliser moins de pesticides et de désherber à moindre effort. Mais les expériences du Canada, de l’Argentine et du Brésil montrent que des espèces résistantes finissent par se développer. Ça n’est donc pas une solution. Quant aux OGM deuxième génération, on m’en parle depuis dix ans ! Les manipulations des gènes sont difficiles et peuvent avoir des conséquences sur des fonctions de la plante qu’on ne voulait pas toucher au départ. Par exemple, le fameux « riz doré » génétiquement enrichi en vitamine A : il s’avère que la plante utilise ses propres hydrates de carbone pour la produire. Conséquence, elle a un moindre rendement. Mieux vaut ajouter des tomates ou des carottes dans son assiette pour avoir de la vitamine. Je ne suis pas dans la diabolisation, j’attends de voir. Mais je sais qu’il est plus urgent d’attribuer des budgets de recherche au fonctionnement de l’agro-écosystème. Il y a tellement de choses à faire, avec des résultats prometteurs et directement accessibles aux paysans.
M.D. Les grandes et moyennes surfaces s’approvisionnent loin pour faire des économies d’échelle. Certains circuits courts, tant qu’ils n’atteignent pas une taille critique peuvent être contreproductifs. Exemple : si chaque abonné à une Amap vient avec sa voiture chercher son panier hebdomadaire sur l’exploitation, la facture en CO2 pèse lourd. En revanche, on peut faire en sorte que des producteurs de qualité puissent en nombre approvisionner la restauration collective sur un circuit court. Alors on réduit les coûts de la collecte et les émissions de CO2. Faisons des Amap, mais de taille critique. Alors on devient compétitifs. Et oui, avoir mis de la distance entre l’élevage et la culture est une erreur grave. Il faut que la paille des céréales serve de litière aux animaux puis devienne du fumier. Remettons de l’élevage en Picardie, dans le Vexin, en Beauce.
M.D. Il s’agit de problèmes environnementaux qui dépassent le cadre de l’élevage. On aurait tort de les imputer aux seuls agriculteurs. La France ne sera pas exempte de scandales. Le glyphosate pourrait provoquer le prochain. C’est un herbicide, celui du Roundup, qu’on retrouve aujourd’hui sous d’autres marques. Il est biodégradable mais l’une de ses composantes biodégradées, l’AMPA, est inquiétante : elle est peut-être liée à des cancers et des maladies neurovégétatives. Le principe de précaution voudrait qu’on en limite l’épandage. Le problème, c’est qu’il est difficile de dire qu’un pesticide est la cause directe d’un cancer. Il n’est pas sérieux de faire des liens de cause à effet, sans faire d’études prolongées. Le seul lien avéré entre un pesticide et une maladie est celui du chlordécone, utilisé pendant des années pour les bananes aux Antilles, et du cancer de la prostate. Globalement, on doit l’espérance de vie accrue à une meilleure sécurité alimentaire. Mais les épidémiologistes laissent entrevoir un autre tableau pour les jeunes générations. Il y a de fortes présomptions pour que l’exposition à des pesticides ajoutée à d’autres pollutions – celles par exemple qu’on trouve dans les maisons –, forme un cocktail chimique entraînant la stagnation, voire la diminution de l’espérance de vie. Il y a urgence à appliquer le principe de précaution, qui n’est pas un principe d’inaction. Au contraire, il s’agit de mettre en place les alternatives. Et l’alternative constructive aujourd’hui, elle existe, c’est l’agriculture bio. —
(1) Etude Ecophyto R&D parue en janvier 2010.
Xavier Beulin Céréalier du Loiret et président de Sofiproteol, géant français des huiles, il a été élu à la tête de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles en décembre.
Marc Dufumier Ingénieur agronome, il dirige la chaire d’agriculture comparée à AgroParisTech et mène des projets de développement agricoles en France et dans les pays en développement.
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