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Argos : le monde en surexposition
dimanche, 27 mars 2011 / Karen Bastien /

Rédactrice en chef du magazine et des éditions papier de "Terra eco"

En leur donnant un visage, ce collectif de journalistes et photographes a marqué la question des réfugiés climatiques. Aujourd’hui, la fine équipe fête ses dix ans.

Il y a dix ans, un terme apparaît dans des rapports internationaux : « réfugiés climatiques ». Cette nouvelle catégorie d’hommes et de femmes se retrouve partout sur la planète. Selon les Nations unies, environ 150 millions d’entre eux seront déplacés d’ici à 2050. Mais ils restent sans visage. Jusqu’à ce qu’un jeune collectif français de photographes et de journalistes parte sur leurs traces depuis l’Alaska jusqu’aux îles Tuvalu, en passant par les Maldives, le Tchad, la Chine, le Bangladesh ou encore les Etats-Unis. Ce travail pionnier a non seulement permis d’attirer l’attention sur ces peuples menacés, mais aussi d’appuyer leur demande d’un statut spécifique. Pour les dix ans du collectif, rencontre avec Laurent Weyl, l’un de ses fondateurs.

Terra eco : Comment avez-vous eu connaissance, dès 2000, de la question des réfugiés climatiques ?

Laurent Weyl : Notre premier intérêt, c’est l’humain et ses formes de vie. Alors, quand nous avons été mis sur la piste des « réfugiés environnementaux », nous avons été passionnés par cette problématique qui lie population, territoire et culture locale. La spécialisation sur les réfugiés climatiques est venue au fur et à mesure de nos recherches. Il commençait à y avoir quelques articles sur la montée des eaux aux Tuvalu et en Alaska avec la fonte du permafrost. Mais nous nous sommes surtout appuyés sur les rapports du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Et nous avons fait valider nos enquêtes par des spécialistes et des scientifiques, en France comme à l’étranger.

Ce travail permanent entre le rédacteur et le photographe est l’une des forces d’Argos…

C’est en tout cas ce qui a conduit à la création de notre collectif : une volonté de promouvoir le reportage documentaire en faisant travailler sur un même plan des photographes avec des rédacteurs. Pour chaque sujet, l’investigation et la pré-enquête sont faites en commun. C’est une vraie collaboration où l’on réfléchit ensemble, où l’on échange en permanence. Les photos ne sont pas là pour illustrer des sujets et les textes ne constituent pas des légendes de photos. C’est peut-être ce qui a transmis sa profondeur à notre travail de longue haleine sur les conséquences humaines du changement climatique. Il a duré quatre ans et a donné lieu à de nombreuses expositions, notamment au cœur de Copenhague pendant les négociations internationales sur le climat, fin 2009.

Après avoir crapahuté sur les cinq continents, vous avez décidé de vous recentrer sur la France pour « Gueule d’Hexagone ».

Depuis 2004, nous travaillons sous la houlette de Jacques Windenberger (1), un contemporain de Robert Doisneau, qui a réalisé un travail documentaire incroyable sur le logement social, la vie ouvrière et l’immigration dans la seconde moitié du XXe siècle. 9 000 de ses photographies sont d’ailleurs consultables à la bibliothèque du Centre Pompidou, à Paris. Nous avons eu envie de repartir sur les territoires où il était passé pour montrer la France d’aujourd’hui. A l’automne 2010, six équipes composées d’un rédacteur et d’un photographe sont parties dans des régions dont ils ne connaissaient rien. Nous avons souhaité commencer nos enquêtes une fois sur place et non à distance comme les nouvelles technologies le permettent maintenant. Utiliser le hasard, l’intuition et faire confiance à nos impressions. Lors de ce premier voyage de repérage, c’est au fil des rencontres, d’ateliers dans les écoles, que les problématiques apparaissent. Qu’on trouve une histoire à raconter. Les séjours suivants seront dédiés à la réalisation du reportage.

Dix ans de vie en collectif, ça use ?

Non, c’est une richesse. Car être seul aujourd’hui, ce n’est plus possible. On doit désormais être à la fois photographe et producteur, gérer des expositions, des livres, des webdocumentaires… C’est vital de réfléchir ensemble à l’avenir de notre métier, de se former les uns les autres à de nouveaux logiciels. On se voit une fois par semaine et on part en « colo » une fois par an pendant trois jours. Réunion, bouffe, réunion, bouffe, réunion… C’est un moment où les idées mûrissent. —

(1) « Images en partage. Un parcours documentaire 1956-2008 » de Jacques Windenberger sortira en mai, aux Editions Images en manœuvre, 35 euros.


Les projets du collectif

Le site Owni accompagnera Argos jusqu’à la fin 2011 en diffusant les reportages les plus marquants des dix dernières années et les reportages du projet « Gueule d’Hexagone ».

En mai Exposition rétrospective à Confluences, la Maison des arts urbains, 190 bvd de Charonne, 75020 Paris.

Du 3 juin au 30 septembre, la 8e édition du Festival « Peuples et Nature » de La Gacilly (Morbihan) accueillera Argos sur le thème « Mythes et légendes de la forêt bretonne ».

Le 8 juillet, Argos sera présent à la Nuit de l’année, lors des Rencontres d’Arles

- Le site d’Argos
- Le site de Gueule d’Hexagone
- Le site des réfugiés climatiques
- Les mines nourricières
- « Réfugiés climatiques  », du collectif Argos, préfaces de Hubert Reeves et Jean Jouzel (Editions Carré, 2010)