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La cocaïne est leur métier (suite)
mardi, 8 novembre 2005 / Toad , / Sylviane Bourgeteau

Mais ces trois groupes ne pourraient s’enrichir si la culture de la coca et la production de cocaïne ne reposaient sur le travail de milliers de fourmis : ouvriers, journaliers, hommes, femmes et enfants. On estime aujourd’hui que près de 200000 familles colombiennes, soit près d’1 million de personnes, vivent plus ou moins directement de ce produit. En Amazonie colombienne, dans le département du Caqueta, la guérilla des FARC contrôle ce commerce et prélève des impôts à tous les stades de la production : un circuit économique avec ses propres règles.

A raison de trois à quatre récoltes par an, les cultivateurs, aidés de raspachines (journaliers) qui cueillent les feuilles, fabriquent la merca (pâte base) dans des laboratoires de fortune [1]. La récolte terminée, ils partent en pirogue vers le marché clandestin le plus proche chargés de 4 à 5 kilos de marchandise dans leurs bagages. Là, sous l’œil vigilant des FARC, les paysans vendent la merca aux hommes de main des chichipatos (narcotrafiquants) pour 0,90 euro le gramme. L’argent empoché, ils rétribuent les raspachines proportionnellement au poids de feuilles récolté par chacun, et effectuent leur ravitaillement en matériel pour les deux à trois mois qui suivent.

340 milliards d’euros par an

Autant de marchandises aux prix exorbitants, surtaxées pendant l’étape de transport fluvial jusqu’au cœur de la forêt vierge. Lorsque la quantité de merca exigée par leur laboratoire de transformation en cocaïne est atteinte (plusieurs centaines de kilos), les chichipatos paient aux FARC un impôt de 10% sur la quantité achetée. Dans leurs laboratoires, dissimulés sous l’épaisse végétation des dizaines d’ouvriers fabriquent la cocaïne vingt-quatre heures sur vingt-quatre : dilution, filtration, séchage. Ces manipulations nécessitent de nombreux produits chimiques importés légalement des pays développés, puis achetés clandestinement. Chaque ouvrier touche de cinquante centimes à un euro sur le kilo produit. Les chichipatos doivent enfin s’acquitter d’un ultime impôt aux FARC, sur le volume cette fois, ainsi que d’un droit de décollage pour utiliser la piste clandestine depuis laquelle la marchandise s’envolera. Avant d’être chargée dans les soutes d’un avion, le kilo de cocaïne en gros vaut donc 1500 euros, et 5 euros le gramme pour le consommateur dans les rues de Bogota. Commence alors l’étape la plus rentable. Celle de l’exportation.

Dans l’Union européenne, le prix d’un kilo de cocaïne en gros dépasse 25 000 euros. Un bénéfice brut de près de 24000 euros avant déduction des frais d’exportation : hommes de main, pots-de-vin, matériel de communication, transport, etc. Mais la drogue n’est pas toujours expédiée par voie maritime ou dans les soutes des avions. Elle traverse souvent les frontières grâce aux "mules", les coursiers du circuit. Des hommes, des femmes et des vieillards, eux aussi poussés par la misère. Dissimulés dans leurs bagages ou au creux de leur intestin, quelques kilos de cocaïne transitent chaque jour vers les Etats-Unis ou le Vieux continent. A Caracas, Bogota, Quito, Lima ou La Paz, l’échec de ces traversées a un visage. Celui de dizaines de "mules" interceptées dans les aéroports et jetées en prison. Verdict : de dix à trente ans de cellule.

Des intestins aux narines

Si la cocaïne ne passe pas dans les bagages, les tubes de dentifrice ou les bouteilles, c’est donc dans les intestins qu’elle fait le voyage. Pour un salaire de 2000 à 5000 euros, une "mule" doit engloutir entre 800 grammes et un kilo de capsules de cocaïne pure. La mort assurée si l’une d’entre elles vient à s’ouvrir. Après expulsion - naturelle -, la coke est coupée pour être vendue et sniffée, dans nos rues, à 85 euros le gramme.

Un détail moléculaire

Chaque année, entre 700 et 800 tonnes de cocaïne sont fabriquées et exportées vers les Etats-Unis et l’Europe. On estime qu’entre l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Italie, 250 tonnes pénètrent dans l’espace de Schengen pour ravitailler, entre autres, les quelques 150000 consommateurs français "abonnés" à cette drogue. Même si les statistiques officielles n’existent pas, l’ONU estime que le commerce mondial des drogues génère un chiffre d’affaires de l’ordre de 340 milliards d’euros par an, soit l’intégralité du financement consacré par la France à sa protection sociale en 2004. Des drogues aux médicaments, une petite différence moléculaire, un même budget mais deux frontières incontestables : celles de l’illégalité et de la dépendance.

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