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Nucléaire : information, désinformation ou propagande ?
mercredi, 23 mars 2011 / Corinne Lepage /

Avocate, ancien Ministre de l’Environnement, Présidente de Cap21.

Pour Corinne Lepage, la question mérite incontestablement d’être posée, que ce soit au niveau du Japon ou à celui de la France.

Au Japon, pour autant qu’on puisse en juger, la population qui vit au voisinage de la centrale - au-delà des 20 km qui ont été évacués et des 30 km de confinement - ne reçoit apparemment aucune information sur le comportement à adopter alors que l’Ambassade des Etats Unis a recommandé à ses ressortissants dès le 16 mars l’éloignement à plus de 80 km. Il en va de même des habitants de Tokyo qui assistent à la fuite des expatriés tout en s’interrogeant sur la réalité ou non du risque radioactif sur leur mégalopole.

La communication officielle en France, depuis le début de la catastrophe, n’a cessé de vouloir dénier la réalité tout en affirmant vouloir jouer la carte de la transparence et de l’information. Cela a commencé avec la querelle sémantique autour du mot « accident », le mot de catastrophe n’ayant pas le droit d’être utilisé sous peine de délit d’indécence. Puis, cela a continué avec le déni de pollution radioactive, la ministre de l’écologie parlant de très faible nuage radioactif dû à la vapeur, alors que le niveau de radioactivité atteint était, dès le 16 mars, de 1,5 mSv/h (milllisievert par heure) aux abords immédiats de la centrale soit une valeur 10 000 fois supérieure au niveau ambiant normal.

Lobby nucléaire

Après la cascade d’incidents majeurs ayant entraîné le départ de la majorité du personnel de l’usine, la désinformation a repris autour du thème du contrôle de la situation grâce à la remise en marche de l’électricité et au largage par hélicoptère d’eau salée pour essayer de refroidir les cœurs. La presse a relayé la « bonne nouvelle » propagée par le lobby nucléaire d’une baisse de la radioactivité alors même qu’aucune mesure n’avait été fournie depuis plusieurs jours. De plus, le lobby nucléaire, sous toutes ses formes, a démultiplié sa présence médiatique pour essayer d’éteindre un incendie désormais immaîtrisable qui s’appelle la demande de débat.

Lobby nucléaire sous toutes ses formes signifie non seulement les représentants de l’industrie nucléaire qui sont légitimes à s’exprimer en tant que tels mais encore les autorités de sûreté et de santé, dont on aurait attendu davantage d’objectivité. En particulier, comment comprendre et admettre que le directeur de l’IRSN ait pu affirmer que la radioactivité due à Fukushima n’était pas plus importante que celle qui résultait des essais nucléaires ? Il faut espérer qu’il ne se soit pas trompé... Mais si c’est le cas, peut-il rester à la tête de l’organisation chargée d’assurer la radioprotection des Français ? Ajoutons à ces nombreuses autorités les innombrables « consultants » d’EDF ou d’Areva qui n’hésitent pas à se présenter comme des experts tout à fait neutres (voir le journal de France 2 décrypté par Arrêt sur image).

Mythe de la sécurité

Il faudra attendre le remarquable travail de la CRIIRAD pour connaître la réalité du niveau moyen de radioactivité à Tokyo (1 million de fois la radioactivité habituelle pour le cesium 137 par exemple) et disposer d’une information objective sur la pollution radioactive actuelle. Et le plus préoccupant est que Tokyo n’est pas le secteur le plus touché par le passage des masses d’air contaminé.

Il faudra attendre le constat de l’inefficacité totale du largage de l’eau au regard des besoins réels pour refroidir les quatre réacteurs et leurs piscines pour comprendre que la solution réellement envisagée est celle d’un sarcophage comme à Tchernobyl à ceci près que le sacrifice des vies humaines qu’une telle construction imposerait n’est pas envisageable dans un pays démocratique...

Après avoir endormis, un week-end durant, tous ceux qui demandaient un débat autant sur la sécurité que sur la sortie du nucléaire, le gouvernement a fini par se ranger au principe de réalité. Si indécence il y avait, alors cette maladie devenait une pandémie affectant le monde entier... Sauf la France. La commission européenne, par la voix de son commissaire à l’énergie, l’Allemagne, la Suisse, les États-Unis, la Chine, l’Inde remettaient en cause la construction de nouvelles centrales et se lançaient dans un programme de contrôle de la sécurité. François Fillon a dû admettre la nécessité d’un contrôle centrale par centrale, admettant par la même que les études de risque sur lesquelles nos centrales ont été construites sont obsolètes ce qui, du même coup bien sûr, anéantit le mythe de la sécurité parfaite des centrales françaises qui nous a été vendu pendant 50 ans.

Mais en contrepartie, celui-ci, aux côtés d’AREVA, s’emploie à souligner qu’avec l’EPR la sécurité absolue est acquise. C’est évidemment faux et certains experts considèrent bien au contraire que l’EPR présente des risques supérieurs en cas d’accident à des centrales PWR classiques. Cette propagande oublie du reste allègrement qu’il y a quelques mois seulement, les autorités de sûreté finlandaise, anglaise et française remettaient en cause certains systèmes de sécurité sur l’EPR. L’autorité de sûreté américaine l’a fait il y a quelques semaines.....Le sujet dépasse bien entendu la question technologique. Il s’agit d’un sujet démocratique central.

Contrôle indépendant

L’opacité, le secret (n’oublions pas que le secret défense est applicable au domaine du nucléaire depuis deux ans), la désinformation apparaissent comme la règle dans ce domaine. Or, en toute hypothèse, il ne pourrait y avoir d’acceptabilité du nucléaire que pour autant qu’il y ait confiance. Or, la confiance dans les autorités chargées de la sécurité du contrôle de la sécurité nucléaire est impossible en l’état actuel des choses. Pour cette raison, durant les années qui viennent, au cours desquelles nous devrons vivre encore avec le risque nucléaire, il est essentiel que nous changions de manière fondamentale l’organisation et le contrôle de la sûreté nucléaire. Si nous ne le faisons pas, les mêmes causes produisant les mêmes effets, les causes de la catastrophe nipponne (qui ne sont pas seulement le tsunami et le tremblement de terre comme en témoignent les ingénieurs du nucléaire japonais qui viennent de faire leur mea culpa) pourraient trouver des échos en France.

Il est donc urgent qu’un véritable contrôle indépendant, confié à des ingénieurs, médecins, scientifiques compétents extérieurs à l’industrie nucléaire puisse se mettre en place. Ainsi, une information pourra se faire en direction du public. Il va de soi que, compte tenu de la dangerosité de l’activité et de son exposition au terrorisme, un certain nombre d’informations ne peuvent évidemment pas être rendues publiques. Mais cette circonstance ne saurait servir de paravent à la nécessaire transparence dans un domaine nucléaire à ce jour nauséabond et fallacieux.