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« La stratégie du choc » de l’industrie nucléaire française
mercredi, 16 mars 2011 / Arnaud Gossement /

Avocat, spécialiste du droit de l’environnement.

Le drame de Fukushima peut-il représenter une opportunité ? L’analyse de la stratégie de communication actuelle de la filière nucléaire par Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement.

Henri Guaino, conseiller spécial du Président de la République a dit tout haut ce que d’autres pensent tout bas au sein de la filière nucléaire française : l’accident nucléaire au Japon pourrait favoriser l’industrie française dont la sécurité est une marque de fabrique. Prié de dire si les évènements au Japon auraient un impact négatif sur cette filière lors de l’émission Le Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro du 13 mars, Henri Guaino a déclaré :« Je ne crois pas » avant d’ajouter « Je dirais même le contraire puisque précisément la France s’est surtout manifestée par son souci de la sécurité ». Et de conclure : « Donc, je crois que ça devrait plutôt favoriser notre industrie nucléaire par rapport aux industries d’autres pays où la sécurité est passée au peu plus au second plan ».

En clair, la catastrophe nucléaire en cours ouvre un nouveau marché, celui de la sécurité nucléaire que pourrait bien conquérir nos entreprises. Pour Henri Guaino, il est donc possible d’appliquer la théorie du verre à moitié plein : des emplois seront peut être créés et des profits réalisés pour vendre le savoir faire nucléaire français. Cette déclaration permet de retourner l’argument selon lequel la France, pays fortement nucléarisé, serait plus exposé qu’un autre à un accident nucléaire. Au contraire, nous dit Henri Guaino : l’hégémonie du nucléaire dans notre pays représente un atout un avantage que nous allons pouvoir désormais exporter.

Nul cynisme de sa part : simplement la conviction profonde que le nucléaire représente un progrès. Il serait bien trop simple pour ne pas dire imbécile de soutenir que les chefs de file du nucléaire sont insensibles au malheur du peuple japonais. Ce qui est intéressant tient à ce qu’en pleine tempête, ils continuent de réfléchir à l’avenir de leur énergie.

La marteauthérapie nucléaire

Cette analyse d’un (très) proche du président de la République peut faire frémir. Elle traduit en réalité bien la stratégie argumentaire des représentants de la filière nucléaire de ces derniers jours, à savoir rassurer la population : non seulement notre nucléaire est « sûr » mais nous allons même l’exporter.

Il faut saluer cette extraordinaire capacité de résilience et de communication d’Areva et d’EDF qui manœuvrent, pour une fois, de concert. Henri Proglio, président d’EDF n’a pas dit autre chose ce matin sur RTL : la crise japonaise constitue une « situation de difficulté » mais pas d’échec pour l’industrie nucléaire, a-t-il ainsi estimé avant de préciser qu’ EDF est prêt à envoyer des moyens techniques et humains au Japon afin d’aider le pays à faire face aux accidents à répétition à la centrale de Fukushima Daiichi.

Vous avez bien lu : point de catastrophe mais une simple « difficulté » laquelle permet à EDF de faire une démonstration de son expertise devant les caméras du monde entier. Une sorte d’opération nucléaro-humanitaire. Interrogée au JT de France 2 le 14 mars, Anne Lauvergeon, présidente d’Areva a indiqué que les accidents japonais entraînerait probablement une demande accrue de sûreté mais que la France était bien placée grâce à sa technologie « sûre ».

C’est donc exactement le même discours qui est répété en boucle dans les médias par les responsables de l’Etat, d’EDF et d’Areva. Une forme de « marteauthérapie » qui consiste à répéter sans cesse le même message pour apaiser et convaincre. Une communication reprise au plus haut niveau de l’Etat.

Une stratégie portée au plus haut niveau de l’Etat

La spécificité du modèle énergétique française tient à ce que les intérêts d’EDF sont aussi ceux de l’Etat et vice versa. A l’occasion d’une déclaration devant le Conseil des ministres de ce jour, le Président de la République a eu ces mots : « La France a fait le choix de l’énergie nucléaire, qui constitue un élément essentiel de son indépendance énergétique et de la lutte contre les gaz à effet de serre. Ce choix a été indissociable d’un engagement sans faille pour assurer un très haut niveau de sûreté pour nos installations nucléaires. L’excellence technique, la rigueur, l’indépendance et la transparence de notre dispositif de sûreté sont reconnues mondialement. Je demeure aujourd’hui convaincu de la pertinence de ces choix. »

A son tour Nicolas Sarkozy souligne l’ « excellence technique » du nucléaire français – manifestement bien plus sérieux que le nucléaire japonais – laquelle est reconnue « mondialement ». Le Premier ministre s’est lui aussi positionné sur le thème de la sécurité nucléaire en annonçant une campagne de contrôle des centrales nucléaires. Ces contrôles étant confiés à l’Autorité de sûreté nucléaire, laquelle a déjà effectué des visites décennales comme à Fessenheim, on à peine à penser qu’elle accepte, du jour au lendemain, de se dédire et de conclure à la vulnérabilité de notre parc de réacteurs. Cette campagne permettra cependant de mettre une nouvelle fois en avant l’ « excellence technique » du nucléaire « Made in France ».

Le piège du référendum

Face à cette communication de la filière nucléaire, certains écologistes comme Daniel Cohn-Bendit proposent l’organisation d’un référendum. Un piège dont ne manquera pas de se servir EDF ou Areva. D’abord, j’en suis persuadé, ce référendum n’aura pas lieu. Et puis, dans le cas inverse, il risquerait - tant le nucléaire est soutenu à droite comme à gauche -, de profiter aux partisans de l’atome. Un référendum ne permet qu’un vote « oui » ou « non ». Par définition, il simplifie le débat et n’est nullement adapté à des questions complexes comme le précédent du Traité constitutionnel européen le démontre. A cette simplification du débat s’ajoute sa personnalisation, certains votes correspondant à l’adhésion à une personnalité plus qu’à une idée. En résumé le débat devient ainsi « noir » ou « blanc », « pro nucléaire » contre « anti nucléaire ».

Un débat très pauvre autour de questions aussi affligeantes que « une éolienne peut elle remplacer un réacteur nucléaire ? » ou « faut-il remplacer le nucléaire par des centrales polluantes au fioul ou à charbon ? ». Cet appauvrissement du débat profitera aux partisans de l’atome, pas à ceux qui tenteront d’expliquer les concepts plus complexes d’économies d’énergie ou de mix énergétique. Rien ne dit qu’un tel débat permettra aux idées écologistes d’avancer. Noël Mamère a déjà pris ses distances en appelant au vote d’une loi sur le modèle allemand. Pendant ce temps, la communication nucléaire continue.

- Lire la thèse défendue par Naomie Klein dans son livre « La stratégie du choc » publié en 2007 : une catastrophe peut aussi représenter une « opportunité » pour des acteurs économiques.