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Nucléaire : la catastrophe de Fukushima va-t-elle briser le consensus français ?
lundi, 14 mars 2011
/ Arnaud Gossement / Avocat, spécialiste du droit de l’environnement. |
Alors que la tension règne au Japon, le débat fait rage en France sur l’avenir de l’atome. Pour notre chroniqueur Arnaud Gossement, passée l’émotion, le consensus nucléaire français ne sera pas brisé tout de suite. Mais il est déjà fissuré.
- Un consensus politique et économique encore bien vivant
Dans les années 60, après être revenu au pouvoir pour régler la crise algérienne, le Général de Gaulle a clairement confirmé l’option du nucléaire civil français. De 1963 à 2006, c’est un simple décret, rédigé sans débat au Parlement, qui constituera le socle du nucléaire français, lui assurant une extraordinaire sécurité et stabilité juridiques.
Du parti communiste au parti gaulliste, un consensus très fort s’est créé autour d’un modèle spécifique d’approvisionnement en énergie. Ce modèle est fondé sur l’assimilation du service public de l’électricité à un monopole – EDF – et à un grand corps de fonctionnaires – le corps des mines. Cette assimilation a été au cœur du développement, dés le début des années 70 et la mise en service de la centrale alsacienne de Fessenheim, d’un dispositif de production d’électricité centralisé et productiviste. Le consensus politique relatif à cette organisation d’un appareil de production d’Etat s’est doublé d’un consensus économique autour de la notion de service public.
De droite à gauche, les résistances ont été très fortes à l’égard du processus de libéralisation du marché de l’électricité lancé par l’Union européenne au cours des années 90. Elles se sont traduites par une certaine méfiance à l’égard des opérateurs privés qui ont investi le marché des énergies renouvelables. Elles se sont de nouveau exprimées lors des débats relatifs à la loi « NOME », portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, qui a accouché d’une timide ouverture de la production électro-nucléaire d’EDF. Certes, ce diagnostic doit être nuancé.
Au sein du Parti socialiste, un débat a lieu entre les thuriféraires d’une énergie sans carbone, pas chère et qui assurerait l’indépendance énergétique de la France, les partisans d’un simple débat sur l’atome et ceux, plus proches des écologistes, qui s’engagent en faveur d’un véritable mix énergétique. Le constat doit être nuancé chez les écologistes également, où l’anti-libéralisme économique de certains responsables les fait hésiter à prendre la défense des acteurs « capitalistes » de l’énergie.
Le bien fondé de cette stratégie a été confirmé par le semi-échec de l’opération, menée lors du remaniement ministériel de novembre 2010, consistant à arracher l’administration de l’énergie des mains du ministre de l’écologie – où elle se trouvait depuis juin 2008 – pour la remettre à Bercy, dans le giron du ministère de l’économie et de l’industrie. Au terme d’une partie de bras de fer, « NKM » a finalement conservé un droit de regard sur cette administration, sans toutefois pouvoir tout à fait parer les coups portés à la filière photovoltaïque
Par la suite, le concept d’ « énergie décarbonée » a été ancré dans l’opinion au moyen d’une campagne de publicité sans précédent d’Areva, dotée d’un budget de 18 millions d’euros. Celle-ci était clairement destinée à banaliser le nucléaire et à l’assimiler à une énergie renouvelable. Le concept a finalement été par les politiques français eux-mêmes lors du Conseil européen de l’énergie du 4 février 2011. Avec succès : l’expression « Low carbon technologies » est bien inscrite dans le relevé de conclusions du Conseil.
La question qui se pose est désormais de savoir si la catastrophe de Fukushima va ou non stopper cette progression européenne du lobbying nucléaire. Lors du Conseil des ministres de l’environnement de l’Union européenne qui s’est tenu ce lundi 14 mars, plusieurs Etats, dont l’Allemagne et l’Autriche ont indiqué vouloir tirer tout de suite les leçons de ce qui se passe au Japon, en remettant en cause le renouvellement des centrales et en insistant pour des règles de sécurité renforcées.
Certes, des catastrophes extérieures comme Tchernobyl ou des accidents intérieurs comme ceux survenus à Romans-sur-Isère ou au Tricastin, n’ont pas remis en cause le choix de renouveler notre parc de 58 réacteurs sur 19 sites. Au contraire, la décision de poursuivre la construction de l’EPR de Flamanville ou d’entreprendre celle de Penly ont été confirmées et le débat public organisé a été une aimable formalité. De même le consensus nucléaire français sera sans doute défendu par deux – probables – candidats à l’élection présidentielle : Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn.
Tout ceci, ajouté au fait qu’EDF demeure une entreprise très appréciée des Français, laisse penser que le consensus ne volera pas en éclat. Pourtant, il est sans doute fissuré et cette fissure pourrait s’étendre. Attention, à ne pas manquer les virages de l’histoire. A l’instar de ceux qui n’ont pas anticipé le printemps arable, il ne faudrait pas rater le printemps des énergies (vraiment) propres.
Prendre sa voiture ou se chauffer deviennent des activités de moins en moins accessibles, alors qu’elles sont indispensables au quotidien de bien des Français. Le thème de l’énergie nucléaire également devrait être débattu au sein de formations politiques où les nucléo-sceptiques sortiront peut être de leur réserve. Le thème des énergies renouvelables également, activé par notre engagement européen d’en accroître l’importance d’ici à 2020, et par le risque de perdre définitivement la compétition mondiale dans ce secteur. Le thème du changement climatique, lié à celui de l’énergie, pourrait être aussi porté. A la frontière du social, de l’économie et de l’écologie, la question de l’énergie ne devrait pas cesser demain d’interroger notre consensus nucléaire hexagonal.