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La meilleure des énergies… pour le meilleur des mondes
samedi, 12 mars 2011 / Nicolas Imbert /

Nicolas Imbert est directeur de Green Cross France et Territoires. Green Cross, ONG créée par Mikhaïl Gorbatchev en 1993, se focalise sur le lien entre environnement, économie et société. Par des actions de plaidoyer et des projets concrets, elle s’engage pour un futur plus durable, à travers ses 34 organisations nationales.

, / Emmanuel Delannoy /

Directeur de l’institut Inspire (Initiative pour la Promotion d’une Industrie Réconciliée avec l’Ecologie et la société) et secrétaire général de la Ligue ROC

Produit d’une époque où les ingénieurs se faisaient démiurges, le nucléaire fait planer sur notre futur une menace que nous ne pouvons plus ignorer. Après l’accident de la centrale de Fukushima au Japon nous devons repenser la façon de produire l’énergie.

Après le séisme dramatique qui a frappé le Japon, l’heure est à la compassion pour les victimes et leurs proches, aux secours d’urgence et à la mobilisation pour la reconstruction des vastes zones sinistrées. Tout prendra du temps, mais c’est une nécessité absolue : il faut en premier lieu éviter que les conséquences déjà effroyables ne soient doublées d’une crise sanitaire, et offrir au plus vite des conditions de vie décentes aux survivants.

Puis viendra le temps de l’analyse et des questions, y compris de celles qui dérangent. Le Japon est un pays démocratique et développé, doté d’infrastructures et de savoir-faire technologiques de tout premier plan. Il était sans doute, et reste très certainement, le pays au monde le mieux préparé à une catastrophe comme celle qui vient de frapper. En matière de transparence et de sûreté nucléaire, il est aussi l’un des pays les plus en pointe au monde. Rien avoir avec l’Union Soviétique de 1986.

Le risque zéro n’est pas de ce monde

Certes, il aura fallu des circonstances plus qu’exceptionnelles pour que l’accident nucléaire le plus grave depuis Tchernobyl se déclenche à la centrale nucléaire de Fukushima. Mais c’est arrivé. Les experts le rappellent à chaque fois que l’on veut bien les écouter, le risque zéro n’existe pas.
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Centrale nucléaire de Fukushima Daiichi
Située au Nord Est du Japon, la centrale Fukushima Daiichi abrite 4 réacteurs nucléaires. Elle est exploitée par la compagnie TEPCO

Cet accident vient rappeler une évidence, que nous préfèrerions tant oublier : aucune technologie humaine n’est infaillible, que ce soit face aux risques naturels, ou aux défaillances humaines. Par les puissances énergétiques colossales qu’elle mobilise, et par sa concentration extrême, l’exploitation de l’énergie nucléaire reste, et restera toujours, intrinsèquement dangereuse.

Le nucléaire, énergie parfaite... pour un monde parfait

Le nucléaire serait peut-être être la meilleure des énergies, si nous vivions dans un monde parfait. Son exploitation serait sûre si nous n’avions pas à craindre les conséquences de catastrophes naturelles, des plus prévisibles aux plus imprévisibles : séismes, tsunamis, inondations brutales, sécheresses extrêmes et prolongées peuvent affecter plus ou moins gravement et plus ou moins brutalement la sécurité des installations nucléaires.

Son alimentation en combustible serait sans risque, et sans conséquences géopolitiques, si nous n’avions à redouter l’émergence de mouvements terroristes dans les pays où nous nous approvisionnons. Mouvements terroristes que la rancœur due aux inégalités et aux impacts sanitaires et environnementaux de l’exploitation ne font qu’alimenter.

La centrale Kadhafi

Le risque de prolifération, de détournement d’installations civiles à des fins militaires ou au profit de chantages politiques serait inexistant si ce monde n’abritait aucun dictateur aux sombres desseins. Que dire par exemple du cas du Colonel Khadafi, ami de la France, ancien terroriste devenu chef d’Etat respectable, à qui nous étions près à vendre une centrale toute neuve il y a quelques mois à peine, juste avant d’admettre enfin, mais un peu tard, sa vraie nature de tyran sanguinaire ?

Le démantèlement et la fin de vie des installations serait une formalité, si pendant les 40 à 60 ans de fonctionnement, les partenaires industriels et publics étaient si prévoyants et si stables qu’ils anticipent cette déconstruction, maintiennent les compétences et les technologies à chaque instant accessibles. Mais les centrales nucléaires européennes en fonctionnement aujourd’hui n’ont pas été conçues en vue de leur démantèlement, et le maintien des compétences et capacités industrielles pour leur déconstruction n’est pas assuré.

Des déchets confinés et bien gardés

Avec toutes ces réserves, le nucléaire serait une énergie « propre ». En fonctionnement, elle ne rejette dans l’atmosphère que de la vapeur d’eau, ou un peu d’eau chaude dans les fleuves. Bien sûr, il y a les déchets radioactifs. Mais où est le problème, puisqu’il suffit de les confiner et de les stocker en lieu sûr ? Dans un monde parfait, ces lieux de stockage resteront sûrs pendant des centaines de milliers d’années, ils seront correctement gérés par un personnel toujours bien formé, compétent et responsable, mandaté par des autorités démocratiques stables.

Il y a également l’énergie nécessaire pour fabriquer une centrale, installation technologique très concentrée, nécessitant des quantités impressionnantes de béton, d’acier et de matériaux spéciaux, mobilisant des outillages et équipements conçus spécifiquement. Mais qui s’en soucie, puisque dans notre monde idéal, cela contribue à créer des emplois. Et les prouesses technologiques valent bien quelques pressions sur les ressources naturelles, non ?

Nos risques sont exponentiels

Mais ce monde idéal n’est pas le nôtre, et nous devons apprendre à composer avec l’incertain et l’imprévisible.

Au delà du seul nucléaire, c’est la résilience d’un modèle énergétique centralisé et concentré qui est questionnée. Les risques industriels sont exponentiellement proportionnels aux puissances mises en jeu. Les risques de désorganisation, de déstabilisation et de rupture du réseau de distribution sont "proportionnels au cube" du niveau de concentration et de centralisation des moyens de production.

Un séisme, un volcan

Notre modèle énergétique actuel, concentré, centralisé, vulnérable, et pour tout dire dangereux n’est pas une fatalité. Il est un héritage d’une époque récente où le développement technologique des pays dits industrialisés était avant tout un instrument de pouvoir, un reflet de la puissance et de l’autorité des Etats. Il est le révélateur d’une vision, d’une ambition, largement partagée entre élites politiques et élites technocratiques de l’époque, dans laquelle l’homme moderne se voit triomphant de la nature et de ses caprices. Vision échue à l’aune du multilatéralisme et des rapports de coopération, mais à laquelle nous avons tant de mal à renoncer aujourd’hui, même quand tel volcan islandais ou telle faille sismique vient nous rappeler notre vraie mesure.

Pourtant, ce modèle n’est pas une fatalité. De même que nous avons su concevoir des infrastructures de communication décentralisées où, à l’instar d’internet, chacun est à la fois producteur, distributeur et consommateur, certains ont déjà mis en œuvre et démontré qu’il était plus réaliste et efficace d’adopter un modèle de production énergétique décentralisé. Dans ce modèle-ci, les risques inhérents aux fortes concentrations de puissance seraient inexistants, reposant sur des moyens de productions distribués, localisés près des lieux de consommation, exploitant au maximum les énergies « gratuites » que sont le vent, le soleil, la biomasse, l’énergie des vagues, ou celles du sous-sol. Sans oublier les « négawatts », cette énergie réellement propre au potentiel insoupçonné.

Un autre modèle, local et créateur d’emplois

Autrefois limité à de faibles consommations, ce modèle a su profiter de la technologie pour prétendre désormais alimenter tout type de réseau, s’il est couplé, pour certains pics de charge, à des énergies traditionnelles telles que les turbines à gaz ou les multi-générations alimentées par des énergies fossiles.

Non seulement ce modèle est techniquement robuste. Mais il permet d’exploiter localement des technologies avec des ressources disponibles à proximité, de créer en masse des emplois sur le territoire où l’énergie est consommée. Il permet également de développer une innovation collaborative, sans mobiliser d’énormes moyens ni prendre un risque d’investissement insensé sur une seule technologie. On peut donc raisonnablement le conseiller à des décideurs publics et privés désireux d’assurer la pérennité et la stabilité.

Penser maintenant au service des générations futures

L’objet de cette contribution n’est pas de « récupérer », à des fins partisanes ou polémiques, l’émotion légitime que le drame japonais suscite. Il s’agit d’apporter un regard prospectif sur les enjeux de nos choix énergétiques et sur la manière dont ils répondent aux besoins des générations présentes, en influençant la vie des générations futures.

Nous pensons à la façon dont nous pouvons maintenant envisager de reconstruire et de transformer ce monde dans lequel grandissent nos enfants.


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Centrale nucléaire de Fukushima Daiichi
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