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Le changement du climat est plus rapide que celui des mentalités
samedi, 12 mars 2011 / Volodia Opritchnik /

Rédacteur en chef de L’Usine à GES

Sociologue de l’environnement et du risque, Florence Rudolf a travaillé sur les façons dont la société considère la menace climatique. Un « terrain », au cœur de son ouvrage « Le climat change… et la société ? ».

Commençons par la conclusion de votre ouvrage : notre société peut-elle s’adapter aux conséquences des changements climatiques ?

Florence Rudolf : Je dois avouer qu’à mesure que j’explorais ce terrain, je désespérais de plus en plus.

A ce point ?

Oui, car les changements climatiques vont à un rythme autrement plus effréné que celui de nos sociétés. Cela me rappelle le livre « Effondrement » de Jared Diamond, qui décrit des situations dans lesquelles les sociétés humaines se trouvent totalement dépassées par les événements dont elles sont à l’origine.

Certes, mais contrairement aux Vikings du Groenland ou aux Mayas, nos civilisations sont conscientes de ce qui leur arrive…

Il y a une énorme production de discours, mais ça reste très insuffisant pour engendrer la moindre action.

Pour quelles raisons ?

Inconsciemment, on perçoit bien que la solution ne passe pas par de petites transformations. Pis, ces transformations, fondamentales, devront être réalisées dans une temporalité assez courte. Cela renforce d’autant l’enjeu. Il y a aussi un problème de pouvoir d’action.

C’est-à-dire ?

Aujourd’hui, sur la planète, c’est un peu comme sur l’Île de Pâques au XVIe siècle, avec toutes ses tribus qui furent incapables de se doter d’une gouvernance insulaire. On sait ce que cela a donné : la fin de la civilisation pascuane.

Pensez-vous que cette inaction puisse être une conséquence de l’action, justement, des climato-sceptiques ?

Ce qui me désespère dans cette histoire de sceptiques, c’est qu’ils font pinailler politiques et décideurs sur quelques degrés ou sur une hypothétique influence du soleil. Mais le problème n’est plus là ! L’urgence, c’est de monter des programmes de recherche sur le nouveau développement urbain, les transports, l’économie du carbone…

Que montre cette controverse ?

La publicisation de cette controverse est en même temps le signal d’une crainte. Sa virulence est quelque part rassurante. Elle montre que ceux qui vivaient sur des filières riches en carbone se sentent menacés par cette transformation. Car, dans cette transformation, il y aura des gagnants – ceux qui émettent peu de gaz à effet de serre – et des perdants, les gros émetteurs.

Comment voyez-nous notre avenir ?

Je reviens du Forum social mondial de Dakar. J’y ai rencontré des climatologues qui sont très pessimistes. Selon eux, il y aura des changements climatiques très brutaux qui pourront déborder les capacités d’adaptation de nos sociétés. Cela se produit d’ailleurs déjà dans les pays les plus vulnérables. Et c’est très violent. Cela me laisse penser que ce que l’on observe dans les métropoles africaines, aujourd’hui, est une assez bonne représentation de ce qui nous attend dans un futur proche. Toutes ces pressions sur l’eau, sur les terres, toutes ces guerres pour l’accès aux ressources préfigurent ce qui nous nous attend. La façon dont nous traitons les questions climatiques est encore très policée.

Cet article a initialement été publié dans L’Usine à GES, la lettre des professionnels du changement climatique.

A lire aussi sur Terra eco :
- Mais qu’y a-t-il dans un cerveau vert ?

- « Le climat change… et la société ? », La ville brûle éditions, 2009.
- « Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition », Gallimard, NRF, 2006.


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