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« Une agriculture qui dépend du pétrole va dans le mur »
mardi, 8 mars 2011 / La rédaction de Terraeco /

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Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter présente ce mardi 8 mars une étude montrant que l’agro-écologie peut aider à nourrir la planète de manière durable.

Terra eco : L’indice FAO des prix alimentaires et les prix du pétrole sont en très nette hausse depuis plusieurs mois. Y-a-t-il un risque de crise alimentaire, comme en 2008 ?

Olivier De Shutter : Nous sommes en plein dans une crise alimentaire majeure. L’augmentation des cours du blé, du soja et du maïs ont été spectaculaires depuis le début du mois d’août à la suite de chocs météorologiques qui sont survenus dans de nombreux pays producteurs comme la Russie, le Kazakhstan, et dans une moindre mesure le Lesotho et l’Afrique du Sud.

Contrairement à l’année 2008, il existe cette année vrais problèmes de production sur plusieurs denrées comme les céréales et le cacao. Sommes-nous face à un réel déficit de nourriture ou est-ce le marché qui est toujours aussi peu efficient ?

Il n’y a pas de pénurie au sens physique du terme. Mais la tension est toujours plus grande entre l’offre et la demande, et les stocks sont opaques et restreints. Dès qu’une mauvaise nouvelle arrive, les marchés s’affolent. La Jordanie, par exemple, a récemment importé du blé. Si tout le monde fait ça, cela peut devenir intenable, avec une rareté artificielle, qui produit les mêmes effets qu’une pénurie. La situation est donc à mon sens encore plus inquiétante qu’en 2008, et je suis très pessimiste et inquiet sur l’évolution des prix qui devraient rester élevés jusqu’au mois de septembre 2011.

Quelle part de responsabilité peut-on attribuer à la spéculation agricole dans l’augmentation des prix ?

Des acteurs financiers attirés par le profit immédiat sont arrivés sur les marchés agricoles, en jouant sur les contrats à terme. Ils représentent aujourd’hui la majeure partie des échanges. C’est ce phénomène qui a beaucoup joué dans l’accélération de la hausse des prix en 2008. On ne peut pas chiffrer la part de responsabilité, mais ce qui est sûr c’est que la spéculation aggrave la volatilité des prix. Si notre système de production agricole fonctionnait mieux, la spéculation n’aurait pas d’effet. La spéculation prospère sur l’incertitude. Je tiens à préciser que l’on ne peut pas résoudre l’un des problèmes sans s’attaquer à l’autre.

Dans votre rapport, vous avancez une solution qui peut à la fois permettre d’assurer la sécurité alimentaire et un mode de développement propre. Expliquez-nous...

Il existe une solution pour augmenter la productivité de l’agriculture de manière durable, c’est l’agro-écologie. Elle peut nourrir la planète. Aujourd’hui, les agriculteurs utilisent principalement des pesticides et engrais pour augmenter leur productivité. Or ces produits sont importés, c’est extrêmement périlleux. De plus, leurs prix dépendent du cours du pétrole et ont augmenté beaucoup plus vite que ceux des denrées alimentaires. Malheureusement, une agriculture qui dépend d’énergies fossiles est une agriculture qui va dans le mur. Au contraire, l’agro-écologie est un mode de production qui mise sur les cycles de la nature pour augmenter la productivité. C’est beaucoup moins onéreux pour les producteurs et plus durable. Ils n’ont pas besoin de s’endetter par exemple pour acheter des tracteurs ou des intrants.

Quelles sont ces méthodes qui permettent d’augmenter la productivité ?

Typiquement, la méthode dites du « push-pull » est très efficace et durable. En plaçant des plantes qui repoussent les insectes entre les lignes de maïs et en en plantant d’autres qui les attirent en dehors de champs, on parvient à jouer la nature contre la nature pour augmenter les productions. Et au lieu de reproduire le processus industriel destructeur, on a un système cyclique qui produit ses propres intrants. J’aime parler d’une usine à pesticides au milieu du champ. On s’est aussi rendu compte qu’il est beaucoup plus efficace de placer des canards et des poissons dans les rizières, d’abord parce qu’ils mangent les larves qui réduisent les rendements, mais en plus ils fertilisent les champs et ils représentent une source de protéines pour l’agriculture et sa famille.

Quelle chance ce modèle a-t-il de réussir ? Jusqu’ici, le modèle de développement et d’investissement voulait que pour produire plus il fallait plus d’intrants, des exploitations toujours plus grandes...

Il sera très difficile d’opérer cette transition mais le pic pétrolier nous condamne à le faire avant qu’elle s’impose à nous. C’est une question cruciale aujourd’hui, alors que de nombreux pays se sont engagés à investir à nouveau dans l’agriculture. Et la grande question à se poser est : est-ce que ces investissements vont être faits de manière intelligente ? Les plus grands obstacles sont dans les têtes. Il faut lutter contre les préjugés négatifs qui entourent l’agriculture. On ne voit la modernisation que dans un sens, celui des pays développés. Mais il ne faut plus seulement se demander combien l’on produit mais aussi qui produit, où et comment. Les révolutions vertes n’ont fait qu’augmenter les quantités produites, mais de nombreux pays n’en ont pas bénéficié, et jamais on ne s’est soucié des impacts environnementaux. A quoi bon développer des cultures massives et uniformes destinées à être exportées dans un marché très concurrentiel et subventionné si cela sert juste à obtenir des devises étrangères avec lesquelles on achètera des intrants ?

Mais la transition que vous préconisez peut-elle se faire à moindre coût ?

L’agro-écologie permet non seulement d’augmenter la productivité, mais en plus elle réduit les coûts de production. C’est donc beaucoup plus efficace pour lutter contre la pauvreté et cela peut permettre de lutter contre la désertification rurale. Et en produisant des produits issus de l’agro-écologie, moins uniformes, on produit à destination des marchés locaux ou régionaux. Le problème c’est que ce discours s’oppose à beaucoup d’intérêts établis. Ne serait-ce que parce que si les investissements sont faits dans les savoirs et plus dans les intrants, il y aura moins de produits brevetés commercialisés...

Interview réalisée par Thilo Dagerman pour Terra eco

- Le rapport en anglais
- Le rapport en français (traduction)