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« Nicolas, si tu y vas, j’ai peur que ça profite au FN »
lundi, 7 mars 2011 / Cerambyx cerdo /

Ambassadeur des coléoptères sur le web

Lettre d’un petit scarabée qui voudrait bien murmurer quelques mots à l’oreille de Nicolas Hulot, avant qu’il ne s’engage dans la campagne présidentielle.

Cher Nicolas,

Si j’étais ton conseiller politique, ou si j’étais l’un de tes proches, ce que je ne suis pas, je te dirais à peu près la même chose que ce que je vais écrire dans les paragraphes qui suivent.

Mais je ne suis qu’un modeste petit scarabée, et tu es pour moi un grand maître. Tu es l’un de ceux qui m’a poussé à prendre la plume, à m’exprimer et à m’engager. J’ai suivi ta carrière, par petit écran interposé, quasiment depuis tes débuts. J’ai lu tes ouvrages, et j’en suis sorti à chaque fois avec une boule dans le ventre, et avec la conviction renforcée que le temps n’était plus aux paroles mais aux actes. J’ai entendu ceux qui critiquaient ta façon de faire, ceux qui te reprochaient de supposées amitiés politiques ou une supposée proximité avec le pouvoir chiraquien, ceux qui doutaient de ta sincérité, ceux qui doutaient de tes compétences, ceux qui trouvaient que tu n’allais pas assez loin, ceux qui trouvaient que tu allais trop loin... Mais aucun d’entre eux ne m’a jamais vraiment convaincu. Tu restes pour moi une sorte d’OVNI dans le paysage écolo-politico-médiatique français, quelque part entre Tintin, Jean Dorst et Victor Hugo : créatif et inspiré, radical mais prudent, timide mais engagé, capable de doute, d’inquiétude, mais toujours sincère et fidèle à tes convictions.

Et c’est parce que je t’aime, parce que je t’ai toujours soutenu, parce que je te crois profondément humain et donc capable d’erreur, que je prends sur moi de t’écrire aujourd’hui, en espérant que tu me pardonneras pour cette intrusion.

Car se pose à nouveau LA question, celle qui agite les esprits tous les 5 ans en France : faut-il, ou pas, troquer ton maillot neutre d’arbitre pour descendre dans la mêlée, être candidat aux présidentielles, ou pas ?

Sur le fond, en toute sincérité, je pense que notre pays aurait bien besoin de quelqu’un comme toi. Je n’aurais aucun doute, si tu étais en situation de passer au second tour de cette grand-messe quinquennale, sur le fait que tu sois l’homme de la situation, et peut-être même le seul capable d’apporter un vrai souffle nouveau sur la politique française.

Mais, comme le marin doit composer avec des vents et des courants parfois contraires, nous devons tous composer avec les circonstances. Les sondages qui montrent une forte poussée du Front National ne doivent pas être interprétés autrement qu’un thermomètre qui afficherait une température de 39 ou de 40 degrés. Nos concitoyens sont tout à la fois déçus, insatisfaits et inquiets. Ils ont le sentiment d’avoir été trahis et oubliés, de n’être plus que des pions sur un échiquier, plus qu’une variable d’ajustement dans des livres de compte. Le monde bascule. Ce n’est pas en soit pessimiste que de dire cela, ce n’est qu’un constat. Un nouvel équilibre se mettra tôt ou tard en place. Mais cette période d’incertitude que nous traversons avive les craintes les plus irrationnelles et fait de la société dans son ensemble une sorte d’écorché hypersensible et désorienté, qui pourrait bien prêter l’oreille aux discours les plus démagogiques.

A 14 mois des élections présidentielles, la question semble se résumer à savoir qui sera au second tour face à Marine Le Pen. Certes, bien des choses peuvent se passer d’ici là. Mais le signal mérite d’être pris en compte et analysé. Le 21 avril avait été un choc, une surprise difficilement prévisible. Cette fois-ci au moins, nul ne pourra dire qu’il n’avait pas été prévenu, qu’on ne pouvait pas s’y attendre ou qu’on ne pouvait prendre cette hypothèse au sérieux. C’est dans ce contexte que tu vas devoir, cher Nicolas, prendre très prochainement une grave décision. Avec le risque que ta candidature ne fasse que renforcer la dispersion des voix au premier tour, et vienne consolider la probabilité d’une présence du Front National au second tour. Je ne te connais qu’à travers tes écrits ou tes discours, mais je doute que ce soit quelque chose que tu puisses souhaiter.

Reste une autre option : rester, comme tu as su fort bien le faire jusqu’ici, et avec une efficacité avérée, dans ce rôle d’arbitre qui te va si bien. Tu pourrais même, et en toute sincérité ça me paraîtrait une excellente hypothèse, rallier tes amis écologistes à cette option, et les inciter à privilégier non pas l’élection présidentielle, qui peut être un piège mortel pour eux, mais les élections législatives qui suivront immédiatement. Vaut-il mieux, pour peser sur le cours des choses lors du prochain quinquennat, un score à un chiffre au premier tour des présidentielles, ou quelques députés de plus à l’Assemblée nationale ?

Cher Nicolas, sois assuré d’une chose, quelque soit la décision que tu prendras, je la respecterai et m’abstiendrai de la critiquer. Ce que tu as fait jusqu’ici vaut en soit déjà beaucoup et ne pourra être remis en cause. Mais prends ton temps. Le principe de précaution, que tu as toi-même largement défendu, implique de devoir décider en situation d’incertitude. On ne pourrait rêver mieux comme cas d’école.

Bien à toi,

Cerambyx cerdo