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Nous sommes tous des fils de paysans ou d’immigrés
mardi, 22 février 2011 / Jean Viard /

Sociologue et directeur de recherches au Centre d’étude de la vie politique française (Cevipof)

Il fut un temps où la République veillait à l’intégration de ses paysans. Mais a-t-elle encore la volonté et l’imagination nécessaire pour faire de même avec ses immigrés ?

Léon Gambetta, homme clé de la IIIe République, aurait pu être l’inventeur du Salon de l’agriculture. Car c’est cet homme et son gouvernement qui vont décider, après la Commune de Paris et la défaite de Sedan, d’enraciner la République dans les campagnes contre les risques révolutionnaires. Nous sommes entrés dans l’imaginaire du « tous fils de paysans » même si, en réalité, nous étions le pays d’Europe avec le plus d’immigration.

Dans les années 1970, avec la croissance du chômage, l’immigré (et ses enfants) devient « un voleur de travail ». En 1973, Jacques Chirac dit : « Un pays où il y a plus de deux millions de travailleurs immigrés n’est pas un pays dans lequel le problème du chômage est insoluble. » L’immigré devient un sujet de débat. L’islamisme va en faire un ennemi potentiel. L’absence de démocratie dans l’ensemble du monde arabe et la figure du despote militaire légitimé par sa lutte anticoloniale viennent alors résonner comme l’autre versant de l’image de l’immigré musulman non intégrable.

En face, année après année, le Salon de l’agriculture commémore la vraie France. Au Sud, peu à peu, les régimes s’effondrent. Que va-t-il se passer ? Si l’islamisme gagne, « pas de problème » : l’Europe se construira contre les musulmans. Mais qu’en sera-t-il si c’est la démocratie ? Alors, même ceux qui prônent « les racines chrétiennes de l’Europe » vont devoir accepter que Jésus n’y soit jamais venu et a vécu entre Palestine et Israël.

Dans une Méditerranée démocratique, il n’y a plus aucune raison pour que ne s’engage pas la construction d’un ensemble euroméditerranéen sur les bases plus que bimillénaires de la pensée grecque, de l’Empire romain, des mondes monothéistes et des mythes du XIXe siècle : l’Orient et l’Occident à nouveau réunis.

La question devient donc de renouveler la République, celle des fils de paysans et celle des immigrés, celle des anciens colonisés et celle des anciens colonisateurs, et ce sur les deux rives. Mais Gambetta est mort et je crains fort que la mise en cause des immigrés et des musulmans ne soit l’enjeu de la présidentielle de 2012.

- Retrouvez les chroniques de Jean Viard sur le site internet du Journal du Dimanche.


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