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Pétroliers : brut forever
mercredi, 23 février 2011 / Matthieu Auzanneau /

Chargé de la prospective et du lobbying au Shift Project, think tank de la transition carbone, et blogueur invité du Monde

Les mastodontes de l’or noir ne peuvent imaginer un monde sans millions de barils produits chaque jour. Alors ils cherchent des parades. Plus vite, plus loin, plus profond.

Nous n’avons jamais consommé autant de pétrole : 84 millions de barils par jour (mb/j), soit près de 1 000 barils à la seconde. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Il suffit pour cela de regarder la gloutonnerie des économies émergentes (Chine, Inde, Brésil, etc.) Or, la production de pétrole dit « conventionnel » (le liquide « classique ») n’augmentera « plus jamais », reconnaît l’Agence internationale de l’énergie dans son dernier rapport annuel. Rien que pour compenser le déclin des régions pétrolières les plus anciennes, il faudrait creuser assez de nouveaux puits dans les dix prochaines années pour fournir l’équivalent de deux fois la production de l’Arabie Saoudite, soit 20 mb/j ! La course aux derniers barils est donc lancée. Depuis les pôles jusqu’aux tréfonds de la terre et des mers, les pétroliers n’hésitent plus à se tourner vers les sources non conventionnelles, pourtant plus chères et plus polluantes.

Les « agrocarburants »

Grands spécialistes, le Brésil et les Etats-Unis. Chez l’Oncle Sam, un quart de la production de céréales finit déjà dans les réservoirs d’essence. Cette politique a été lancée par George W. Bush, probablement afin de compenser le déclin des extractions américaines. Les 100 millions de tonnes de maïs et d’autres céréales transformées chaque année en carburant dans plus de 80 usines aux Etats-Unis suffiraient à nourrir 330 millions de personnes. Ce n’est sûrement pas sans rapport avec les records qu’atteignent aujourd’hui les cours des denrées alimentaires. Sous les climats tropicaux – au Brésil, en Afrique ou en Indonésie –, la production de carburant à partir d’huile de palme ou d’alcool de canne à sucre participe à la déforestation des forêts primaires. Le groupe finlandais Neste Oil, l’un des leaders mondiaux du diesel « vert », vient de se voir décerner le prix Public Eye Awards de l’entreprise la plus irresponsable de l’année.

L’océan Arctique

C’est la frontière ultime pour les grands pétroliers, la dernière grande région du globe qui n’a pas encore été passée au peigne fin par leurs géologues. Ironie du sort : l’accès à l’Arctique se libère grâce à la fonte de la banquise, elle-même provoquée par les émissions de CO2 induite par notre appétit insatiable d’hydrocarbures. Mais quelles seraient les conséquences d’une marée noire sous un climat aussi extrême ? Tous les grands groupes sont sur les rangs. A l’instar de BP, qui vient de passer un accord historique avec le géant russe Rosneft, les compagnies occidentales sont à court de lieux moins inaccessibles où forer. Le français Total s’est associé à l’autre leader russe des hydrocarbures, Gazprom, pour développer un champ de gaz naturel paraît-il très prometteur : le Shtokman, au large de la Russie par 73 ° de latitude nord.

Coal-to-Liquid

La transformation du charbon en pétrole semble – faute de mieux – avoir un grand avenir devant elle, car les réserves de charbon sont beaucoup plus importantes que celles d’hydrocarbures. Les experts de cette industrie lourde et coûteuse sont les Sud-Africains de la compagnie Sasol. Leur technologie est issue de l’Allemagne nazie et a été améliorée à l’époque de l’apartheid, lorsque l’Afrique du Sud était visée par un embargo sur les produits pétroliers.

Gas-to-Liquid

Il est également possible de faire du carburant liquide à partir de gaz naturel. Comme pour la liquéfaction du charbon, les infrastructures à mettre en place sont là colossales pour des capacités de production presque anecdotiques à l’échelle mondiale. Une fois opérationnelle, la plus grande usine du monde, The Pearl (« La Perle »), que la compagnie Shell est en train de finir de tester à Abu Dhabi, sera capable de produire 140 000 barils/jour. Par comparaison, la demande chinoise s’est accrue de 600 000 barils/jour en 2009.

Le offshore profond

Les ultimes découvertes de pétrole conventionnel ont désormais lieu loin au large, à grande profondeur. Les extractions de offshore profond – plus de 300 mètres – représentent aujourd’hui 6 % de la production mondiale de brut. Cette proportion pourrait dépasser 16 % dans une décennie. Selon un expert du département de l’Energie américain, les récentes découvertes au large du Brésil « constituent à peu près le seul point positif (...) en attendant d’aller dans l’Arctique ». Attention danger : la plate-forme de forage Deepwater Horizon qui a explosé en avril 2010 dans le golfe du Mexique, provoquant la pire marée noire de l’histoire des Etats-Unis, était une merveille technologique. Elle détenait le record de profondeur pour un forage à 10 km sous la surface des flots.

Pétrole et gaz de schiste

Vous en avez sûrement déjà entendu parler si vous lisez Terra eco et que vous suivez la campagne que José Bové a lancée contre des permis d’exploration dans le sud-est de la France. Pour faire sortir le pétrole ou le gaz naturel piégés dans les couches de schistes, il faut envoyer de l’eau à très haute pression, agrémentée d’un cocktail impressionnant de produits chimiques, afin de fracturer la roche. On appelle cela le « fracking ». Balbutiante en Europe, cette technique d’extraction est déjà très répandue aux Etats-Unis. Là-bas, les cas d’intoxication de riverains sont légion. Car une fois libérés, le méthane et les produits chimiques ne remontent pas seulement par les puits. Ils se retrouvent dans l’eau du robinet, qui prend feu lorsqu’on passe un briquet devant, comme le montre le documentaire Gasland.

Les pétroles lourds

Le français Total est passé maître de leur exploitation, que ce soit sous forme liquide, comme au Venezuela, ou sous forme de bitume solide, comme au Canada. L’exploitation massive des sables bitumineux du Canada implique des déboisement massifs et laisse très souvent derrière elle de vastes étangs de boues toxiques. Pourtant, les pétroles lourds sont d’ores et déjà indispensables à l’économie mondiale : les sables bitumineux canadiens sont, depuis 2010, la première source d’approvisionnement en pétrole des Etats-Unis.

Micro-algues

Le n° 1 mondial du pétrole, Exxon, a investi 600 millions de dollars (450 millions d’euros) pour développer des essences à base de plancton végétal. L’armée américaine a lancé ses propres recherches dans le domaine. Des tests sont menés sur des moteurs d’avions de chasse. Mais un rapport de la RAND corporation, groupe de recherche majeur pour les affaires militaires aux Etats-Unis, vient de doucher les espoirs de ceux qui rêvent d’une armée « verte » : ces nouveaux carburants seraient inefficaces et trop chers, même pour l’armée américaine, l’institution au monde la plus vorace en pétrole.

Et les renouvelables ?

Curieusement, c’est dans les pays du golfe persique, où se concentre l’essentiel de ce qui reste des réserves mondiales de pétrole, que l’on trouve certaines des expériences les plus ambitieuses dans le domaine des énergies renouvelables. Le chantier de 22 milliards de dollars (16 milliards d’euros) de la future ville de Masdar, dans l’émirat d’Abu Dhabi, en est le symbole. —


Le cas iranien

Et si l’Iran avait vraiment besoin du nucléaire ? C’est le plus vieux producteur de pétrole du monde, et ses réserves s’épuisent. L’Agence internationale de l’énergie anticipe un déclin brutal de sa production de brut dans les années à venir. En off, plusieurs analystes de l’industrie pétrolière jugent que si la République islamique tient tant à maîtriser l’atome, ce n’est pas seulement pour disposer de la bombe.