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L’ ère que l’homme inspire
mercredi, 23 février 2011 / Arnaud Gonzague

Voyage dans l’anthropocène, Claude Lorius et Laurent Carpentier, Actes Sud, 200 p., 19,80 euros.

D’abord une définition : l’anthropocène est la période géologique dans laquelle nous vivons actuellement. Si on lui accole « anthropo » (du grec « homme »), ce n’est pas parce que les hommes y vivent, mais parce qu’ils l’ont provoquée. Eh oui, le réchauffement de la planète, la fonte des glaces, le pillage des ressources fossiles, la destruction des espèces animales, tout ceci participe rien de moins qu’à un changement géologique, qui a la particularité d’être à 100% imputable à l’homme. A quand remonte le début de l’anthropocène ? Selon l’inventeur du terme, le chimiste Paul Crutzen, à 1784. Ça au moins, c’est précis !

C’est que cette année-là, l’Ecossais James Watt invente la machine à vapeur moderne qui fera basculer l’Europe dans la première Révolution industrielle. Suivront les mines de charbon, les usines manufacturières, puis le chauffage central, l’automobile, l’avion et tutti quanti, jusqu’à la Kinect à Noël dernier. En somme, Watt, c’est le début de la fin pour la planète. Mais il en a fallu du temps, aux hommes, pour réaliser qu’il étaient, si l’on peut dire, en train de se scier la branche sous les fesses.

Whisky et carottes polaires

Claude Lorius est un glaciologue âgé de 78 ans. Précisions biographiques importantes. Car en qualité de scientifique septuagénaire, il se souvient qu’en 1958, un certain Charles David Keeling s’était déjà alarmé de ce que l’atmosphère de notre planète comptait bien trop de dioxyde de carbone et que ceci était certainement dû aux activités humaines. Evidemment, personne n’a rien entendu. Il se souvient aussi qu’en 1965, lui-même a eu l’idée géniale (grâce à un bon whisky, on n’en dira pas plus…) de pratiquer des carottes dans la glace des pôles pour retrouver et étudier l’air des millénaires précédents. Et surtout que vingt ans plus tard, ces témoins du passé nous révélaient sans doute possible que notre bonne vieille Terre se réchauffait dangereusement. On connaît la suite. Oui, mais pas la fin.

Raisonnablement catastrophiste

La fin, Lorius, lui, croit la pressentir. La notion même d’anthropocène signe, d’après lui, l’abandon de la « tentation de la toute-puissance » humaine et de ses deux bras armés : le progrès et la science. Il ne dit pas où l’on va, mais c’est sûr, on n’ira plus dans la même direction. « Aujourd’hui, tout est à repenser. » Il faudra laisser moins de place aux algorithmes et un peu plus à la philosophie. Pas d’espoir superflu cependant. Le glaciologue nous glace : « Oh ! Non pas que l’homme soit menacé ! Il s’entrégorgera, il se déplacera, il mourra de faim, de soif, de maladies, mais il ne disparaîtra pas. Pas si vite. La banquise aura disparu qu’il sera encore là. » Raisonnablement catastrophiste, l’explorateur se montre moins convaincant quand il se fait moraliste. Appeler les hommes à l’« humilité », c’est s’adresser à des créatures qui n’existent pas. Mais au fond, c’est peut-être ça, la philo ? —