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Des tubes pour nourrir la ville
mercredi, 23 février 2011 / Rafaële Brillaud

Une bande d’ingénieurs planche depuis des années sur Foodtubes : un réseau de circulation de nos aliments via des pneumatiques souterrains. Un test grandeur nature pourrait voir le jour près de Londres.

Et si finalement les pneumatiques, c’était fantastique ? Souvenez-vous : une navette en forme de cylindre creux où l’on glisse son courrier, un vaste réseau de tubes qui quadrille une ville ou une entreprise, et un peu d’air comprimé. Voilà comment on faisait circuler jadis petits paquets et documents à Londres, Berlin, New York, Prague… et même Paris jusqu’en 1984. Depuis, ces bons vieux tubes pneumatiques ont été abandonnés au profit des fax et des courriers électroniques, bien plus modernes. Pourtant, une équipe britannique souhaite les réhabiliter pour transporter de la nourriture !

Légumes, poisson frais, boîtes de conserve, yaourts ou paquets de pâtes pourraient ainsi circuler sous nos pieds, 24 heures sur 24, sans craindre les embouteillages ni les caprices de la météo. Plus de retards de livraison donc. Et surtout, à la surface, des routes et des centres-villes débarrassés de leurs encombrants camions « qui dépensent 92 % de leur énergie pour se transporter eux-mêmes », souligne Noel Hodson. Spécialiste des transports, c’est lui qui est à la tête de cet étonnant projet baptisé Foodtubes, rassemblant une vingtaine d’ingénieurs, d’universitaires et de consultants.

Concrètement, l’idée est la suivante : distribuer les produits alimentaires et de consommation au cœur des villes via des tubes souterrains qui relieraient entre eux producteurs, grossistes, distributeurs et usines de recyclage. Sans pour autant aller jusqu’à la porte des particuliers !

Les tentacules de « Brazil »

Remettre au goût du jour nos pneumatiques d’antan, d’accord. Mais il s’agit de leur donner un sérieux coup de jeune. Finies les navettes minuscules, où l’on pouvait loger au mieux un sandwich : Foodtubes imagine de gigantesques capsules en aluminium, légères, d’un mètre de haut sur deux de long ! Adieu également les tubes pressurisés : le système prévoit que les capsules se déplacent à 100 km/h maximum grâce à un moteur linéaire à induction. Ce dernier est déjà utilisé pour propulser les wagons des montagnes russes ou Linimo, le fameux train japonais à sustentation électromagnétique. Géré par une armada d’ordinateurs, le tout sera inévitablement gourmand en électricité. Pour la produire de manière écologique, on aura donc recours à l’éolien, l’hydraulique, le solaire, l’énergie marémotrice ou géothermique, etc. Au final, le Royaume-Uni économiserait chaque année 8 % d’émissions de gaz à effet de serre dues à l’homme et le fret verrait sa facture chuter de 85 % !

Reste la grande question : un projet tentaculaire comme celui-ci est-il réaliste ? Ne risquons-nous pas, comme le caricaturait Terry Gilliam dans le film Brazil, d’être vite débordés par un entrelacs de tuyaux à construire ou à gérer, traversant les continents, galopant sous nos villes, grimpant dans les étages de nos immeubles ? Pas de panique : l’équipe de Foodtubes rappelle qu’il existe déjà plus d’un million de kilomètres de pipelines à travers le monde, dont 300 000 km en Europe et plus de 500 000 km aux Etats-Unis. Ils transportent de l’eau, du gaz et du pétrole. « Y a-t-il un seul responsable des transports sain d’esprit qui suggère de condamner les pipelines pour acheminer leur contenu par la route ou le rail ?, demande avec malice Noel Hodson. La nourriture est aussi vitale que l’eau. » Et puis, toujours selon les promoteurs du projet, installer ces tubes serait plus simple et plus économique que l’entretien actuel de nos routes et de nos camions.

700 camions en moins par jour

« L’idée, raconte Noel Hodson, m’est venue en travaillant sur la conception de petits véhicules économiques, sur le télétravail pour réduire la circulation automobile et en étudiant les biens véhiculés par pipeline sans générer de pollution. » Foodtubes, né du croisement de ces recherches, a été présenté en 2008 au prestigieux prix St Andrews pour l’environnement, organisé par la très cotée université écossaise. Finaliste malheureux, le projet circule depuis dans les médias du monde entier et l’équipe est invitée à faire des présentations à Londres, Buenos Aires ou au Texas.

Et pour mieux convaincre, Foodtubes a imaginé un banc d’essai grandeur nature dans la périphérie de Londres, à Croydon. Dans ce district qui rassemble 130 000 foyers et plus d’une centaine de magasins et de supermarchés, 80 kilomètres de tubes et 400 terminaux seraient nécessaires pour un budget de 400 millions d’euros. Croydon verrait alors disparaître de ses rues 700 camions par jour et économiserait chaque année 60 millions d’euros. Mais en dépit de ces beaux arguments, ce « fast-food » d’un nouveau genre n’existe encore que sur le papier. Noel Hodson, désormais en quête de financement, entend boucler son budget en demandant près de 6 millions d’euros à la Commission européenne. L’Union jugera-t-elle que son tuyau est percé ? —

- Le site du créateur de Foodtubes
- Les vidéos Foodtubes
- Le prix St Andrews pour l’environnement