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Les Madrilènes n’en peuvent plus de leur air pollué
mercredi, 16 février 2011 / Alice Bomboy /

Une enfance en pleine nature jurassienne, des études de biologie et de géologie, l’envie de transmettre cette passion pour le monde vivant, et le monde tout court, et un goût sans limite pour les nouvelles contrées. Alice est journaliste scientifique.

Des militants écolos portent plainte contre le maire de Madrid pour son manque d’efforts dans la lutte contre la pollution de l’air. Une telle action aurait-elle des chances d’aboutir en France ? Pas sûr.

« Respirer est nocif pour la santé ! ». C’est le cri d’alarme lancé vendredi dernier, 11 février, à Madrid par des militants écologistes. Leur coup de colère va plus loin qu’un défilé sous les banderoles : las de vivre sous la « boina » (traduisez : le béret) - un épais nuage noir qui chapeaute en permanence la capitale espagnole - ils ont carrément déposé plainte pour défendre leur droit à respirer un air pur et pour réclamer des mesures contre la pollution dans la capitale espagnole. En ligne de mire : rien de moins que le maire de Madrid, Ruiz Gallardon, et son adjointe, Ana Botella !

Il faut dire que la pollution atteint des sommets dans la capitale espagnole. A cause des taux excessifs de dioxyde d’azote et de la pollution atmosphérique qu’ils engendrent, la Commission Européenne estime ainsi que 16 000 personnes meurent prématurément en Espagne... Pire : en janvier, le Parquet accusait la municipalité d’avoir voulu faire baisser artificiellement le niveau total de pollution en ôtant plusieurs appareils de mesures des zones les plus polluées... pour les installer dans des jardins publics ! Mercredi dernier, la justice espagnole attaquait de nouveau, en mettant carrément la mairie en demeure de prendre des mesures pour améliorer la qualité de l’air, plusieurs manquements aux normes européennes ayant été constatées.

Promesses non tenues

Face à ces accusations, le maire, lui, ne brille pas par son volontarisme. Sa promesse d’arrêté municipal devant interdire l’accès au centre-ville des véhicules de plus de 13 ans s’est, elle, noyée dans la boina madrilène. Tout au plus a-t-il enjoint les habitants de la capitale à troquer la M30, le périphérique de la ville, pour les transports en communs lorsqu’ils se rendent au travail...

Cette plainte de madrilènes excédés va-t-elle restée isolée ? « Ce qui est remarquable dans cette action, c’est qu’elle implique certes des associations, mais qu’elle se fait aussi à l’initiative du Parquet, sur des arguments fondés », commente Simon Williamson, avocat au barreau de Paris et spécialiste du droit de l’environnement. Ces arguments, eux, reposent sur des normes qui encadrent au niveau européen les taux admissibles de particules atmosphériques, définis dans un directive concernant « la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe ». Les citoyens ne devraient ainsi pas être exposés aux microparticules, dites PM10, à des concentrations supérieures à 40 µg/m³ annuellement, et à 50 µg/m³ quotidiennement, cette dernière valeur ne devant pas être dépassée plus de... 35 fois au cours d’une même année.

Brouillard juridique

Des particuliers et des associations qui portent plainte ? L’initiative a de quoi faire jaser en France : impensable, ou presque, de voir aboutir ce genre d’actions de ce côté-ci des Pyrénées. « En 1994, une plainte avait été déposée par des particuliers contre le Maire de Paris et le Préfet de police, au titre de l’infraction de mise en danger de la vie d’autrui, dans le cadre de la pollution de l’air, et parce que ceux-ci se seraient abstenus de prendre les mesures nécessaires pour l’enrayer », explique l’avocat spécialisé. Verdict ? La plainte a été jugée irrecevable par la Cour de cassation, au motif que le préfet et le maire étaient libres d’apprécier les mesures nécessaires à la lutte contre la pollution. « Le problème, c’est que la législation confère une obligation de moyens, mais pas de résultats... Cette réponse de la Cour de cassation a dès lors levé toutes ambiguïtés sur la possibilité d’exercer des poursuites pénales : c’est très compliqué ! », poursuit-il.

Reste les cartons jaunes distribués par la Commission européenne quand des manquements sont constatés. En novembre 2009, la Commission Européenne adressait ainsi à 8 états membres, dont la France, un avertissement en raison de dépassements réguliers de ces seuils de particules. En novembre dernier, Chypre, l’Italie, le Portugal et l’Espagne étaient carrément assignés en justice pour non conformité à la législation de l’UE... « Des Etats membres, dont la France, ont été condamnés par la Cour de justice de l’Union européenne pour dépassement des seuils de pollution de l’eau par les nitrates et les pesticides. Il n’y a pas de raison qu’une meilleure qualité de l’air ne soit pas exigée de la même façon », entrevoit Maître Williamson. A la clé : des amendes à payer pour les Etats membres. Sauf que ceux-ci jouent la montre : alors que les normes européennes devaient être respectées pour 2005, ils ont d’ores et déjà réussi à obtenir un sursis jusqu’en juin 2011... et tentent encore d’obtenir de nouveaux reports. Les amendes, elles, ne sont donc pas pour tout de suite.