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Prospectus  : la guerre noir sur blanc
mardi, 15 février 2011 / Emmanuelle Vibert

Vous pensiez naturellement que les pubs sur papier étaient des tueuses d’arbres ? 13 millions de dépliants tentent de vous convaincre du contraire : elles les bichonnent ! Retour sur une campagne qui force le trait.

Choisis ton camp, camarade. Les prospectus, tu seras pro ou anti. A croire que la France est coupée en deux : ceux qui les aiment d’amour et ceux qui les accusent de tous les maux. Tout remonte à septembre dernier. Cette guerre du flyer débute avec une annonce de Michel-Edouard Leclerc. Le pédégé de l’enseigne homonyme le promet : ses supermarchés seront « zéro prospectus » en 2020. Reste dix ans pour passer progressivement du papier au tout numérique. « Chaque année, près de 18 milliards d’imprimés (1) sont envoyés en France, soit l’équivalent de 830 000 tonnes de papier publicitaire, argumente-t-on chez Leclerc. Chaque foyer reçoit ainsi en moyenne 40 kg de prospectus par an (2) ; une part non négligeable dans l’ensemble des déchets ménagers et un coût de traitement élevé de près de 110 millions d’euros par an pour la collectivité. »

Pour l’industrie papetière, ce coup de communication est un affront insupportable. Antoine Gaillard, du « quotidien des arts graphiques » graphiline.com, crie au greenwashing et lance haut et fort que « les hypermarchés Leclerc déclarent la guerre à l’imprimerie ». En octobre, Laurent de Gaulle, président de l’Association culture papier, publie, lui, une lettre ouverte à Michel-Edouard Leclerc pour « rétablir quelques vérités sur le papier ». Le 30 novembre, ce dernier fait mine de battre en retraite et agite le drapeau blanc sur son blog : « Le papier, le plastique ont leur noblesse et il ne s’agit pas de mépriser le métier de ceux qui les travaillent. Mais n’appartient-il pas aux chefs d’entreprise de ce secteur d’anticiper les évolutions pour mieux les gérer ? » Las, il est trop tard pour désamorcer la bombe. La guerre aura bien lieu.

La campagne

Et le coup suivant est tonitruant. Le 3 février 2011 et les jours suivants, il explose dans nos boîtes aux lettres. 13 millions de livrets de 4 pages y débarquent : des petites bombes de papier imprimées en vert et intitulées « Comment vivrait-on dans un monde sans amour et zéro papier ? » Elles sont lancées par l’Observatoire du hors média (OHM) qui regroupe les pros de l’impression publicitaire. Passons charitablement sur la une et le kitschissime bichon qui brandit fièrement un journal dans sa gueule. Oublions également le logo à cœur rouge qui revendique : « J’aime le prospectus ». Entrons plutôt dans le vif du sujet. La double page intérieure s’ouvre ainsi : « Et si je m’étais trompé, et si on m’avait trompé ! » Quoi ? Un complot ? Presque. Pour l’OHM, on essaie de vous faire croire que l’industrie papetière nuit à l’environnement… alors que c’est tout le contraire. Elle « contribue à la croissance raisonnée de nos forêts (+ 4,3 % par an), au maintien de leur qualité et à la diminution des gaz à effet de serre ». Mais encore ? « En France comme en Europe, le recyclage des papiers/cartons utilisés dépasse 64 %. » Bref, « le papier est un des rares produits à la fois : naturel, renouvelable, recyclable, non toxique et biodégradable. »

Abus de nature ?

Chez certains destinataires de la missive, l’attaque, même affublée d’un cœur et de verdure, provoque l’indignation. Chez les associations écolos aussi. France Nature Environnement réplique aussitôt par un communiqué – numérique, évidemment – dénonçant une « tentative ridicule de désinformation ». Le papier lutte contre l’effet de serre ? S’il « permet de séquestrer temporairement le carbone, sa fabrication, son impression et son recyclage nécessitent la consommation de matières premières et d’énergie. Pour être au final au mieux recyclé, au pire incinéré ou enfoui. Le bilan CO2 est donc négatif. » Il est naturel ? « Le cycle de fabrication utilise des produits qui le sont moins : agents de blanchiment, encres… » Et « le recyclage a lui aussi un impact environnemental » puisque « l’activité de désencrage utilise des produits chimiques et génère des boues ».

Verdict

Entre ceux qui voient tout en rose et ceux qui broient du noir, certains tentent de jouer les Casques bleus. « Je comprends l’initiative d’OHM, déclare ainsi Géraldine Poivert, directrice générale d’Ecofolio, organisme qui coordonne, finance et accompagne la collecte, le tri et le recyclage des papiers. L’amalgame fréquent qui veut que le papier détruit la forêt est faux. Et le papier est un support de communication utile, à condition qu’il soit bien géré : utilisé sans excès, en ciblant bien les marchés et en invitant au tri. Je regrette d’ailleurs que l’OHM n’aborde pas ce dernier point. » Quant à la forme du message, même à l’Observatoire, on admet qu’elle puisse susciter des critiques. « On les entend, assure Dominique Scalia, président de l’OHM. Mais on a eu besoin de prendre la parole, alors que notre profession était attaquée. On est tous conscients des enjeux environnementaux et toute l’industrie améliore ses pratiques. » Dommage de ne pas en avoir fait le centre du message. —

(1) D’après une étude de TNS Sofrès de 2009.

(2) Selon une étude de l’Ifop pour l’Ademe, datée de 2009.


Avis de l’expert : 1,5/5

Hugues Carlier, consultant en responsabilité sociale des entreprises au cabinet « Des enjeux et des hommes » : « Je suis le premier à défendre le média papier – quand il est réellement responsable – et à alerter sur la pseudo-innocuité du tout dématérialisé. Mais ici, la partialité est à l’honneur. J’aurais aimé un message plus pédagogique : incitation au tri, limitation du gaspillage, importance de la traçabilité, labellisation. Et puis, personnellement, je n’aime pas mon prospectus… ni parfois ses conditions de distribution : travail au noir, forçage des codes de porte, etc. »

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